Chaque jour, Bruno Donnet regarde la télévision, écoute la radio et scrute les journaux ainsi que les réseaux sociaux pour livrer ses téléscopages. Ce lundi, il s'intéresse à l'argent dépensée par les maisons d'édition pour des livres qui finissent à la poubelle.
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00:00 mais d'abord c'est l'heure des télescopages de Bruno Donnet.
00:02 Bonjour Bruno !
00:03 Bonjour Philippe !
00:03 Content de vous retrouver !
00:04 Pareil !
00:05 Tous les jours Bruno, vous observez ici la mécanique médiatique
00:07 et ce matin, c'est la disparition de l'écrivain Philippe Solaire
00:10 ce qui a suscité votre curiosité
00:12 à l'égard de ce qui est finalement le média le plus ancien, le livre.
00:15 Oui, Philippe Solaire s'est mort avant-hier à l'âge de 86 ans.
00:18 Il était un immense romancier et une figure médiatique très connue du grand public
00:23 qu'il avait découvert au début des années 80 sur le plateau de Bernard Pivot.
00:27 Alors, comme toujours lorsqu'un célèbre écrivain casse sa pipe,
00:30 les médias cèdent à deux réflexes quasi pavloviens.
00:32 1) ils font réagir ses proches
00:34 et 2) ils se mettent en quête d'une archive qui résume la personnalité du fameux disparu.
00:40 Avant-hier donc, nos confrères de France Info ont fouillé dans leur mémoire
00:43 et ils ont exhumé un petit morceau d'une interview épatante.
00:47 Vous savez Philippe que Solaire, en plus d'être un auteur et un provocateur grandain,
00:51 était aussi éditeur, éditeur de la grande maison Gallimard.
00:55 Seulement voilà, il trouvait qu'on publiait en France nettement trop de livres.
01:00 "Écoutez, il y a 10 livres, c'est faisable, en qualité, et encore vous êtes très généreux.
01:06 Mettez 4 ou 5 et ce serait vraiment une année exceptionnelle."
01:09 Alors, eh bien, alors Philippe Solaire savait inventer un mot, un néologisme,
01:13 une contraction entre les termes "poubelle" et "publier".
01:17 Lui disait "poublier" car il s'insurgeait qu'une somme considérable de livres
01:22 finissent à la poubelle avant même d'avoir atteint le plus petit lecteur.
01:26 "Dans la poubelle que je dirige, qui est d'ailleurs très recherchée par les clochards du coin,
01:33 Gallimard a ses clochards attitrés qui viennent et remarquent ma poubelle.
01:39 Et là, ils viennent, ils ont des livres gratos."
01:42 Voilà, Solaire s'y voyait là un problème économique majeur.
01:46 "C'est un des métiers où la perte d'argent est la plus considérable."
01:50 Et il posait donc à voix haute une question extrêmement intéressante.
01:53 "Là, ça pose un problème de savoir quel est l'intérêt de faire ça."
01:58 Quel est l'intérêt de faire ça ? Du coup, Philippe, plus qu'aux lettres,
02:01 cette petite archive m'a donné envie de m'intéresser aux chiffres.
02:04 Car j'ai voulu savoir si Solaire se disait vrai
02:06 et comment un tel fonctionnement était économiquement viable.
02:10 "Et alors, qu'avez-vous découvert Bruno au terme de votre enquête chiffrée ?"
02:14 Eh bien, j'ai découvert Philippe des proportions auxquelles je ne m'attendais pas.
02:17 D'abord, Solaire se disait effectivement la vérité
02:19 puisque dans notre pays, tenez-vous bien,
02:21 un livre sur quatre termine sa vie au pilon
02:24 sans même avoir quitté la maison d'édition.
02:26 Oui, oui, vous m'avez bien entendu, un livre sur quatre est égrasé,
02:30 broyé, sans même être passé par la case librairie.
02:33 Ça représente 140 millions d'exemplaires par an.
02:36 Pourquoi ? Eh bien, tout simplement parce que nous éditons en France
02:39 un volume de bouquins absolument colossal.
02:42 En 2018, par exemple, 82 300 ouvrages différents ont été publiés.
02:47 Ça fait plus de 225 livres par jour.
02:50 Or, les Français n'en achètent que six en moyenne par an.
02:54 Alors, comment un tel système peut-il fonctionner et survivre économiquement ?
02:59 Eh bien, tout simplement parce qu'il est allègrement subventionné,
03:02 financé par de l'argent public.
03:04 L'année dernière, par exemple, le Centre National du Livre,
03:07 qui dépend du ministère de la Culture,
03:09 a distribué un peu plus de 22 millions d'euros,
03:12 22 millions d'aides sonnantes et trébuchantes,
03:15 aux 4 450 éditeurs, pas moins que compte notre pays.
03:20 Ça s'appelle l'exception culturelle française, Philippe,
03:23 un système très onéreux, certes,
03:25 mais qui permet tout à la fois la création, la profusion
03:28 et la recherche.
03:29 En 1973, par exemple, un certain Philippe Solaire avait publié un livre
03:34 intitulé Hache, un livre très expérimental,
03:37 sans la moindre ponctuation, sans point, sans virgule,
03:41 un livre qui n'a rencontré aucun succès auprès du grand public
03:45 et dont de nombreux exemplaires ont donc terminé leur vie à la poubelle.
03:49 Eh oui !
03:50 Eux aussi ont été poubliés, c'est-à-dire publiés
03:53 et instantanément poubellisés.
03:55 Un petit détail que le taquin Philippe Solaire faisait semblant d'avoir oublié.
04:01 Il faisait semblant seulement, comme vous.
04:02 Merci beaucoup Bruno Donnet, à demain.