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Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters Sans Frontières, était l'invité du 6h20 de France Inter ce mercredi pour présenter la 21ème édition du classement de la liberté de la presse.

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Transcription
00:00 6h19, bonjour Christophe Deloire !
00:02 Bonjour !
00:02 Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, à l'occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse,
00:08 aujourd'hui, RSF publie donc son classement mondial, 21ème du genre.
00:13 180 pays et territoires passés au crible, pour la 7ème année consécutive, c'est en Norvège que la presse est la plus libre.
00:20 La France occupe le 24ème rang.
00:22 Sans surprise, la Corée du Nord clôt le classement, juste derrière la Chine, le Vietnam et l'Iran.
00:28 Voilà pour le tableau.
00:29 Au-delà du classement, Christophe Deloire, ce que l'on constate, ce n'est pas un bilan très élogieux.
00:34 Les conditions d'exercice du journalisme sont mauvaises selon vous, dans 7 pays sur 10 ?
00:39 Il y a toujours un effet de réalité un peu pénible à aller regarder la situation du journalisme dans le monde.
00:44 Effectivement, si on regarde en nombre de pays, en pourcentage de pays, aujourd'hui, dans 7 pays sur 10, la situation est mauvaise.
00:53 La situation de l'exercice du journalisme, les conditions de cet exercice.
00:58 Si on regarde en population, les chiffres sont encore plus vertigineux.
01:02 Parce qu'il y a un certain nombre de dictatures qu'on connaît avec populations très élevées.
01:07 Plus de 50% de la population mondiale vit dans un territoire, un pays, où la situation est très grave.
01:14 Tandis que seulement moins de 1% des êtres humains vivent dans un pays où la situation de la liberté de la presse est bonne.
01:19 Vous parlez de la liberté de la presse dans des pays où il y a des régimes de dictature.
01:25 Mais il n'y a pas que cela qui exprime le difficile exercice du journalisme.
01:31 Vous parlez notamment de l'intelligence artificielle.
01:34 Les ennemis du journalisme sont nombreux.
01:37 Il y a les dictateurs, les régimes autoritaires, les mafieux, les narcotrafiquants, les politiciens véreux.
01:46 Il y a parfois des individus, des groupes sociaux qui sont hostiles au journalisme.
01:51 Mais parfois, ça prend y compris dans certaines démocraties, des proportions extrêmement inquiétantes.
01:55 Mais aujourd'hui, il y a un écosystème, un terrain qui favorise tout ça.
01:59 Et qui est lié au développement de l'industrie du simulacre, de l'industrie de la désinformation.
02:04 Aux moyens technologiques qui permettent de diffuser le faux, de présenter le faux pour le vrai, d'amplifier les rumeurs, la propagande.
02:15 Bref, les moyens technologiques, aujourd'hui, à la disposition de tous ceux qui veulent tromper, manipuler,
02:21 sont d'une intensité, d'une capacité qui sont inédites dans l'histoire.
02:25 - Des exemples ?
02:28 - Les exemples, c'est le pouvoir d'un Elon Musk, le patron bien connu de Twitter,
02:34 qui peut décider de modifier son algorithme et d'amplifier la désinformation.
02:39 Ce sont des entreprises, comme l'a révélé récemment le consortium Forbidden Stories,
02:43 qui avait été incubé par Reporters sans frontières.
02:46 Des entreprises qui peuvent créer des faux comptes avec une échelle complètement démente.
02:53 C'est des États qui disposent aujourd'hui de moyens technologiques pour diffuser une propagande.
02:57 Alors l'exercice de la propagande, ce n'est pas nouveau.
02:59 C'est presque vieux, comme le pouvoir, comme l'humanité.
03:02 Mais là, ces moyens sont inédits.
03:05 Et d'autant plus que l'espace de la communication et de l'information, c'est globalisé.
03:09 Et c'est une mondialisation qui n'est pas régulée, qui est totalement dérégulée, qui est une forme de jungle.
03:16 Et où ceux qui savent le mieux se servir des outils de la technologie,
03:19 c'est d'un côté les dictateurs, les régimes autoritaires, et de l'autre côté, les businessmen et des marchands.
03:23 Les démocrates, en comparaison, savent beaucoup moins se servir de ces outils technologiques
03:29 qu'ils ne contrôlent pas.
03:31 J'allais dire contrôlent, non pas au sens de contrôle de l'information,
03:34 mais au sens de contrôle démocratique, de supervision démocratique de ce fonctionnement.
03:37 Ça, c'est quelque chose, Christophe Deloire, qui s'est accentué,
03:41 qui est... C'est pas un phénomène nouveau, mais c'est un phénomène qui a vraiment pris de l'ampleur. Depuis quand ?
03:46 On passe quand même une série de sauts technologiques avec, il y a une vingtaine d'années, le Web 2.0,
03:53 c'est-à-dire les réseaux sociaux, après la création d'Internet dans les années 90.
04:00 Puis, aujourd'hui, l'intelligence artificielle qui permet de produire des contenus sans aucun égard pour la vérité.
04:07 Ce qui est fascinant dans l'intelligence artificielle, c'est à la fois sa puissance, sa capacité,
04:11 et qui peut-être rendra des services éminents à l'humanité.
04:14 Faisons en sorte que ce soit le cas, parce que la technologie, c'est un remède et un poison.
04:18 Faisons tout pour que ce soit un remède et pas un poison, et que le remède l'emporte sur le poison.
04:23 Mais aujourd'hui, le fonctionnement de l'intelligence artificielle ne tient aucun compte de la véracité,
04:29 puisqu'on est simplement sur des affaires de probabilité, et que la probabilité, ça n'est pas la vérité.
04:36 La manipulation de l'information via les intelligences artificielles, la manipulation aussi, on en a parlé,
04:42 vous en avez parlé, la propagande d'États qui existe toujours, la Russie,
04:47 on a fait un véritable exemple, entre guillemets, avec la guerre en Ukraine.
04:53 Que ce soit Moscou ou Pékin, les grandes dictatures, aujourd'hui, elles ne se contentent pas de contrôler leur population,
04:59 de contrôler les esprits de leurs citoyens.
05:01 Avec un bourrage de crâne, comme c'est le cas à Moscou.
05:05 Bourrage de crâne qui est permis par le vide qui a été créé, parce que Poutine a éteint le journalisme indépendant dans son pays.
05:14 Le journalisme russe ne survit qu'en exil, et notamment en Europe, et "Reportage sans frontières" soutient des dizaines et des dizaines de médias russes qui tentent de se reconstruire.
05:24 Mais ces deux pays, comme d'autres, aujourd'hui, ont une volonté d'exporter leur contenu de propagande,
05:31 et d'exporter même leur modèle de contrôle de l'information.
05:33 Et ça, c'est le plus inquiétant, c'est l'exportation des modèles despotiques.
05:37 Mais en même temps, comme on le disait, la propagande c'est vieux comme le monde, est-ce que ça marche toujours ?
05:41 Est-ce que les gens sont encore dupes de ça ?
05:44 Manifestement, oui.
05:45 Si on regarde, alors même si les instituts de sondage sont d'une fiabilité douteuse en Russie,
05:52 mais manifestement, il y a une capacité quand même, quand on enferme les gens dans une bulle de propagande,
06:01 il y a des effets évidents.
06:03 Et l'enfermement, il est d'autant plus facile que c'est un enfermement non visible.
06:08 Que les algorithmes peuvent être, lorsqu'ils sont aux mains des dictateurs, des prisons invisibles.
06:13 Et des prisons invisibles, il est parfois aussi difficile de s'échapper que des prisons avec des barreaux et des portes de fer.
06:18 Hier, la secrétaire générale du Conseil de l'Europe a appelé les gouvernements européens à faire de la protection du journalisme
06:24 et de la sécurité des journalistes et autres acteurs de médias une priorité politique.
06:28 Le secrétaire général de l'ONU, Christophe Deloyer, dit que la liberté de la presse est attaquée
06:33 et que c'est l'élément vital des droits humains.
06:35 On a l'impression que ces mots sont des vœux pieux.
06:38 Ces dirigeants d'organisations internationales font ce qu'ils peuvent pour faire de ces sujets une priorité.
06:45 Moi, je me souviens avoir rencontré Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU, dans son bureau à New York.
06:49 Et au moment de me raccompagner à la porte, il m'a dit une chose.
06:53 L'intelligence artificielle est un danger pour l'humanité aussi grand que le réchauffement climatique.
06:58 C'est un danger auquel aujourd'hui, il convient de s'intéresser, que nous nous intéressions tous en tant que citoyens.
07:06 Il y a un début de texte en Europe, mais pour l'instant, nous sommes encore dans cette période de vertige, de fascination.
07:13 Après, doit venir l'action. Il ne suffit pas d'être expert en problèmes, il faut être expert en solutions.
07:18 Oui, justement, ça rend un peu pessimiste pour l'avenir.
07:21 Ce qui peut rendre un peu d'optimisme, c'est quand même d'abord qu'il y a des victoires et des victoires importantes dans le combat pour la liberté de la presse.
07:28 On obtient des libérations. On arrive à protéger des journalistes.
07:32 On arrive quand même à endiguer cette menace. Il y a une prise de conscience sur toutes ces questions technologiques.
07:37 Le choix que nous avons fait à Reporters sans frontières, c'est une stratégie 360 degrés.
07:42 Il faut se battre sur les questions de liberté, contre l'existence de journalistes en prison, pour la sécurité physique des journalistes.
07:51 Mais il faut aussi se battre sur la question de l'organisation du marché de l'information.
07:54 Il faut retrouver un moyen que l'écosystème de l'information favorise le journalisme digne de ce nom.
08:00 Un journalisme indépendant, doté de règles éthiques, de méthodologie, alors qu'aujourd'hui, il est désavantagé.
08:06 Et puis, il faut s'intéresser à limiter l'arbitraire et le pouvoir de ces grandes plateformes numériques,
08:11 qui aujourd'hui ont un pouvoir faramineux et parfois plus grand que certains gouvernements.
08:16 C'est elles qui imposent les normes, les lois de notre place publique, de notre place du village désormais globalisée.
08:24 Et il n'est pas normal que ces lois soient imposées soit par des régimes despotiques, soit par des pouvoirs marchands.
08:31 - Saskia de Ville : merci Christophe Deloyer, du boulot, on le voit, secrétaire général de Reporters sans frontières.
08:36 Vous étiez l'invité du 5/7.

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