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À une semaine du 8 mai, date de la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, l'historienne Alya Aglan publie "Le rire ou la vie : Anthologie de l'humour résistant 1940-1945", aux éditions Gallimard. La professeure d'histoire y répertorie tout ce qui a fait l'humour pendant la guerre : éditoriaux caustiques, poèmes, conseils à l'occupé, dessins, chansons détournées, etc. Elle était l'invitée du 6h20 de France Inter, lundi 1er mai.

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Transcription
00:00 Bonjour Alia Hagland, vous êtes professeure d'histoire contemporaine à la Sorbonne et
00:04 spécialiste de l'histoire de la résistance.
00:06 A une semaine du 8 mai 1945 qui signe donc la fin de la Seconde Guerre Mondiale, vous
00:09 publiez « Le rire ou la vie, anthologie de l'humour résistant entre 40 et 45 ». Vous
00:16 étiez la semaine dernière au mémorial de Caen pour en faire la présentation.
00:20 Dans ce livre, Alia Hagland, vous répertoriez tout ce qui a fait l'humour pendant la Seconde
00:24 Guerre Mondiale, des historios caustiques, aux poèmes, aux conseils à l'occupé,
00:30 des dessins, chansons détournées, absolument tout.
00:32 Et ce qu'on découvre au final, c'est que l'humour, le rire dans un moment grave,
00:38 rime finalement avec liberté Alia Hagland.
00:40 Oui, c'est exactement ce que j'ai voulu démontrer en composant cette anthologie de
00:45 textes plus ou moins connus et aussi de caricatures.
00:49 C'est que ça pulvérise tous les faux-semblants de l'humour.
00:53 Et dans les périodes d'occupation et de guerre, tous les discours officiels ne résistent
00:58 pas à la caricature ou à la dénonciation par l'humour.
01:02 C'est très puissant.
01:03 C'était ce que je voulais montrer.
01:04 Et c'était présent dès le début de l'occupation ?
01:06 Oui, parce que les conseils à l'occupé de Jean Texier datent de l'été 40.
01:11 Ensuite, ils vont faire le tour du monde, ils vont être repris sur les ondes de la
01:16 BBC par Maurice Schumann, ils vont être lus par extrait.
01:19 Ensuite, on les retrouve dans la presse de la France Libre qui est éditée à Beyrouth
01:24 ou à Brazzaville, enfin dans tous les cas dans les terres d'empire.
01:27 Alors, Jean Texier, vous le dites, il écrit dès 1940 et ses conseils à l'occupé,
01:31 il faut quand même en donner quelques-uns parce que c'est drôle, c'est plein d'ironie.
01:34 Il dit par exemple "ne te fais aucune illusion, ce ne sont pas des touristes, ils te parlent
01:38 en allemand, ignore, poursuis ton chemin, ils chantent en chœur et d'une voix juste,
01:42 le soldat français chante faux".
01:43 Et quand ça lui chante, celui que je préfère c'est le conseil 30 "tu grognes parce qu'il
01:47 t'oblige à rentrer chez toi à 23h précise, innocent, tu n'as pas compris que c'est pour
01:51 te permettre d'écouter la radio anglaise".
01:54 C'était assez fin quand même.
01:55 C'est très fin et puis le tutoiement crée une sorte de connivence, ce qui fait que ça
02:02 n'est pas un ordre, ce n'est pas des consignes, c'est des conseils.
02:08 Et ça veut dire "toi et moi on sait bien ce qu'on pense".
02:10 Et donc c'est de la connivence.
02:12 Donc Jean Teixier sait quand il écrit ça, le but qu'il poursuit.
02:16 Bien sûr parce qu'en plus, ensuite Jean Teixier va faire partie des cadres du mouvement Libération
02:22 Nord, qui est l'un des plus grands mouvements de résistance de zone nord, fondé par les
02:26 syndicalistes, socialistes et chrétiens, ce qui était déjà une grande originalité.
02:31 Et donc Jean Teixier va s'occuper d'une feuille clandestine qui s'appelle Libération Nord,
02:37 qui est le journal de ce mouvement et qui va apparaître très régulièrement pendant
02:40 toute l'occupation.
02:41 Alors il n'y a pas que lui, il y a aussi Robert Desnos qui lui écrit "La revanche
02:45 des médiocres", j'irais le dire, à la commande en tour.
02:47 Il y a Germaine Tillion qui propose des remèdes à la peste brune.
02:52 On se demande comment à une époque pareille on peut rire, mais surtout à qui on s'adresse
02:57 exactement ? Sans vouloir dire que la France est illettrée, mais tout le monde ne lit pas
03:02 Desnos, tout le monde ne lit pas Germaine Tillion.
03:04 A qui on s'adresse ? Ils le savent ?
03:06 C'est un acte qui est à la fois littéraire, ironique et politique.
03:12 Il est très évident que quand Desnos écrit, j'irais le dire à la commande en tour,
03:18 c'est une manière très humoristique et détournée de dénoncer la délation, notamment
03:23 entre voisins.
03:24 Il y a une nouvelle d'Aragon qu'il a signée sous pseudonyme, qui s'appelle "Les bons
03:29 voisins", alors que je n'ai pas pu donner par extrait parce que c'était un peu trop
03:32 long, il faut la lire en entier, et qui dit la même chose.
03:36 Bien sûr qu'ils savent ce qu'ils font, et c'est une arme puissante l'humour, mais
03:40 c'est l'arme des faibles.
03:42 C'est une arme qui est immédiatement disponible, qui n'a pas besoin de consignes, pas besoin
03:46 d'argent, pas besoin de radio, pas besoin de liaisons clandestines.
03:49 Bien sûr qu'ils savent ce qu'ils font, d'autant que beaucoup de papillons sont destinés
03:54 à être collés sur les murs et disent, par des dessins, par exemple les Allemands "Raus
04:00 dehors".
04:01 Donc on a toutes sortes de supports et de manières de dire la même chose.
04:08 Nous, on garde nos esprits libres, on n'est pas convertis au nouvel ordre européen, et
04:16 de toute façon, on va vous mettre dehors.
04:18 Et comme on utilise tous les supports, que ce soit la bande dessinée aussi, le dessin,
04:22 on va y venir, les charades, les chansons détournées, ce que je veux dire c'est que
04:27 quand on dit "ils s'adressent à tout le monde parce qu'il faut" - nous on a internet
04:31 aujourd'hui - mais eux c'est le besoin dans tous les sens de donner cette information.
04:36 Oui, c'est ça, c'est l'humour, informe et fait exploser les normes des discours officiels
04:44 de propagande en même temps.
04:45 C'est-à-dire qu'en dénigrant les puissants, je dis toujours "le faible se rit du fort",
04:51 et ça c'est un espace de liberté incroyable, et il y a manière évidemment à broder sur
04:58 tout ce qu'on essaye de leur raconter sur la collaboration d'États qui marche très
05:03 bien, les Allemands qui sont très gentils, très corrects et qui construisent un nouvel
05:07 ordre européen.
05:08 Et est-ce qu'on sait comment les Allemands, en tout cas l'occupant, le reçoit ?
05:10 Alors ils prennent ça très au sérieux parce qu'ils comprennent tout de suite que c'est
05:16 subversif, et pas seulement les Allemands, le gouvernement de Vichy va inculper et arrêter,
05:24 parfois interner les auteurs quand ils arrivent à les trouver, de ces blagues, notamment
05:30 ce faux poème d'éloge au maréchal Pétain qui passe pour une très bonne blague, mais
05:35 en vérité son auteur va être interné à Lyon, en prison.
05:39 Un mot de Pierre Dac ?
05:42 Alors lui c'est vraiment celui que tout le monde a entendu, je crois que c'est le plus
05:47 célèbre des humoristes, et je pense que c'est le fait qu'il a eu du mal à arriver à Londres,
05:53 mais une fois qu'il est à Londres, c'est la plus grande voix humoristique de la résistance.
06:00 Et on ne s'y trompe pas parce qu'il a des duels à la fois tragiques avec le milicien
06:05 Philippe Henriot, et évidemment…
06:07 Qui est sur Radio Paris ?
06:09 Qui était sur Radio Paris et qui sera assassiné par la résistance en juin 1944.
06:14 Et il fait partie de ces très grandes voix humoristiques.
06:17 Alors lui c'est très puissant, d'abord il est très connu, et puis son humour est
06:21 à la fois loufoque, poétique et extraordinaire pour défaire tous les faux-semblants.
06:28 Par exemple quand il arrive à Londres, l'un de ses premiers éditoriaux, que je n'ai
06:33 pas mis dans ce livre, dit "qu'est-ce que ça fait du bien de dormir dans un lit ? Moi
06:39 je n'ai jamais dormi dans un lit, ça fait trois ans que je ne dors pas dans un lit".
06:42 Et puis il dit "voilà j'ai quitté l'ordre de la matraque pour tous".
06:46 C'est une manière quand même de dénoncer l'occupation assez drôlatique.
06:50 Alors il y a… Je ne peux pas m'empêcher de faire un parallèle avec l'actualité,
06:56 et notamment il y a beaucoup de dessins qui sont venus surtout de l'étranger parce
07:00 que la presse avait du mal à imprimer, mais il y a un dessin qui est assez marquant,
07:05 qui finalement est horriblement drôle.
07:07 Des personnes qu'on voit en arrière-plan pendues, et Hitler et Himmler se regardent
07:14 et Hitler demande à Himmler "pourquoi ne nous aime-t-il pas ?" Et moi je me posais
07:18 la question "aujourd'hui on voit ça, on ne rit pas".
07:21 A l'époque, on en a ri.
07:23 La guerre ou l'humour ne peut vivre que dans le tragique ?
07:30 Oui, d'où le titre "Le rire ou la vie".
07:33 Ça pourrait être "Le rire ou la mort" en fait, c'est ça dont il s'agit.
07:36 Alors on ne se moque évidemment pas des victimes mais des persécuteurs, de ceux qui perpétuent
07:45 ces crimes.
07:46 Et il y a un autre dessin qui date de la libération aussi, qui campe Hitler en petit garçon,
07:53 qui dit "est-ce qu'ils vont me pardonner ? Et si je leur demandais pardon ?"
07:56 Ça aussi c'est à la fois pas drôle et drôle quand même.
08:01 On ne se moque pas des victimes, on se moque de ceux qui ont massacré, supplicié.
08:07 Et sur ce dessin dont vous parlez, il y a des femmes.
08:11 Dernière question, Alia Aglan, et très rapidement, vous parlez du rire pendant l'occupation
08:16 en France.
08:17 Si on fait un parallèle avec la guerre russe en Ukraine, est-ce que l'humour elle-même,
08:19 est-ce qu'on se rit du plus fort, on le raille là aussi ?
08:22 Oui, on a vu ça immédiatement, dès le début de la guerre en Ukraine, une réaction de
08:28 vitalité par l'humour, par le rire.
08:31 Et on voit très bien la puissance de cette arme.
08:34 Merci beaucoup, on pourrait en parler des heures Alia Aglan.
08:38 Ça s'appelle "Le rire ou la vie ? Anthologie de l'humour résistant 1940-1945", c'est
08:45 paru aux éditions Gallimard.
08:46 Vous étiez l'invité du 5/7.

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