• l’année dernière
L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 19 Avril 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

Category

🗞
News
Transcription
00:00 *Musique*
00:04 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Je vous l'ai dit, il y a quelques instants, la situation en Tunisie est préoccupante du point de vue économique
00:11 et du point de vue politique depuis déjà plusieurs semaines.
00:16 Lundi soir, un événement particulier s'est produit alors qu'il célébrait la traditionnelle rupture du jeûne en cette période de Ramadan.
00:25 Pranet Ghanouchi, chef du mouvement islamo-conservateur Enarda, a été mis en détention par les autorités.
00:31 L'emprisonnement de cet opposant de 81 ans s'inscrit dans une série d'arrestations de figures centrales de la vie intellectuelle et politique dans le pays
00:39 menées par le président Caïs Sadède qui s'est arrogé en 2021 les pleins pouvoirs.
00:45 Par ailleurs, la Tunisie connaît une grave crise financière avec des taux d'inflation et de chômage en constante hausse.
00:52 De nombreuses manifestations ont éclaté dans le pays pour contester la dérive autoritaire du chef de l'État et demander des mesures économiques rapides.
01:01 Comment ce pays qui a vu naître en 2011 une démocratie inédite dans la région peut-il aujourd'hui se relever ?
01:08 Et puis plus généralement, que reste-t-il des espoirs des printemps arabes ?
01:13 Pour en parler, nous sommes en compagnie de l'économiste tunisien Ezzedine Saïdan en duplex avec nous. Bonjour.
01:20 Bonjour. Et ici même dans ce studio, Sophie Bessis. Bonjour. Vous êtes historienne, politiste, spécialiste de l'Afrique subsaharienne et du Maghreb.
01:31 Le dernier ouvrage que vous avez publié s'intitule « Je vous écris d'une autre rive. » Lettre à Anna Arendt aux éditions Elisade.
01:40 Sophie Bessis, que signifie l'emprisonnement de Raned Ghanouchi ?
01:47 Cet emprisonnement s'inscrit dans une logique tout à fait construite depuis plusieurs mois de désertification de la scène politique tunisienne.
02:01 Il ne faut pas oublier que le président Kayseid a été élu tout à fait démocratiquement d'ailleurs en octobre 2019 et qu'il s'est arrogé, disons, la totalité du pouvoir,
02:15 c'est-à-dire le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire avec un coup de force issu d'une interprétation tout à fait personnelle de la constitution de 2014 en juillet 2021.
02:29 Et depuis le mois de juillet 2021, le chef de l'État est en train de mettre en œuvre un programme qui désertifie la scène politique tunisienne,
02:41 c'est-à-dire qui concentre, disons, ses attaques sur les partis politiques et en particulier sur le parti al-Nahda que le chef de l'État considère comme son principal adversaire.
02:54 Alors il faut nous présenter cet homme Kayseid, car vous dites qu'il a fait un coup de force constitutionnel et ce n'est pas complètement innocent puisque cet homme est constitutionnaliste.
03:06 Au début, c'était un prof de droit constitutionnel.
03:09 Oui, il était assistant à la faculté des sciences juridiques de Tunis, effectivement, et constitutionnaliste.
03:15 Et le chef de l'État, qui est entré en politique en 2011, avant 2011, personne ne connaissait son existence, il n'avait jamais manifesté quelque opposition que ce soit au régime de l'ex-président Ben Ali.
03:33 Donc voilà, M. Kayseid qui entre en politique en 2011 et qui élabore un petit peu un programme qui est assez hétérogène, disons, mais qui s'inspire d'abord...
03:45 M. Kayseid a un langage tout à fait messianique où le peuple est totalement sacralisé, donc toute sa campagne électorale de 2019 était "Le peuple veut".
03:54 Voilà, "Je ferai ce que veut le peuple".
03:56 On ne sait jamais très bien ce que veut le peuple en général, mais tel était son mot d'ordre...
04:01 On ne sait jamais très bien aussi...
04:03 Et tel était son mot d'ordre. Et donc, en fait, il avait un programme qui n'était pas un programme, à part le fait de détruire la scène politique, de détruire cette...
04:14 Certes, la construction démocratique de la Tunisie de 2011 à 2019 était une construction pleine de dysfonctionnement, incontestablement, avec une classe politique qui n'a pas été à la hauteur de ce défi...
04:26 Un problème de corruption, s'il est élu très largement en 2019... Non, Kayseid va insister sur son image de probité, à la différence, veut-il dire, du reste de la classe politique tunisienne.
04:39 Tout à fait, et surtout de son challenger au deuxième tour des élections, qui était un homme d'affaires sulfureux, directeur, patron de télévision, accusé de blanchiment d'argent, etc.
04:50 Donc, effectivement, Kayseid a joué sur son image, tout à fait réelle d'ailleurs, d'homme intègre et prêt à lutter contre la corruption.
04:58 Malheureusement, ce programme politique est d'abord un programme de gouvernement d'un homme seul.
05:05 Alors, bien entendu, on ne gouverne jamais seul.
05:08 Et pour des raisons qu'il est peut-être un peu long d'expliquer ici, le coup de force de M. Kayseid en 2021 a été appuyé à la fois par l'armée et par les services de sécurité,
05:22 même s'il y a des divergences au sein des services de sécurité.
05:27 Ils n'appartiennent pas tous à la même mouvance.
05:30 Mais pour l'instant, ce qui est évident, c'est que les services de sécurité, tout l'appareil sécuritaire tunisien soutient la démarche autoritaire de l'actuel chef de l'État.
05:44 Et ça, c'est extrêmement important parce que sinon, il ne pourrait pas faire ce qu'il fait.
05:47 Donc ça, c'est le volet politique.
05:49 Ensuite, il y a le volet économique.
05:51 Ezedin Saïdan, vous êtes économiste tunisien, vous êtes en duplex avec nous.
05:56 Sur le plan économique, le président Kayseid a eu une série de mesures qui étaient des mesures visant à lutter contre la vie chère, qui n'ont pas complètement eu le résultat escompté.
06:11 Quel a été l'esprit de ces réformes et quel en est aujourd'hui le résultat sur l'économie tunisienne ?
06:18 Je pense qu'il faut rappeler d'abord que la situation économique et financière, il faut insister sur financière, avant justement le 25 juillet 2021, était catastrophique.
06:29 À tout point de vue, tous les ratios, tous les indicateurs étaient au rouge et même au rouge foncé.
06:34 Et ce que nous devons dire, c'est qu'à partir du 25 juillet 2021, nous n'avons strictement rien fait sur le plan économique et financier.
06:42 Et donc, la situation a continué à se dégrader gravement.
06:46 Aujourd'hui, nous avons une économie qui est en panne, qui ne produit plus de croissance, qui ne crée pas d'emploi, qui ne crée pas de richesse.
06:54 Mais en même temps, nous avons une inflation à un niveau très élevé.
06:57 Nous sommes aujourd'hui en moyenne à 10,3 %, alors que l'inflation pour les produits alimentaires est à 18,5 %.
07:03 Nous avons également ce qu'on appelle les deux déficits jumeaux.
07:07 Nous avons un déficit abyssal justement du budget de l'État et en même temps, nous avons un déficit énorme et sans précédent de la valance des paiements courants.
07:16 Conséquence de tout ça, une accumulation de dettes publiques sans précédent, de dettes extérieures également,
07:22 au point où on considère aujourd'hui que la dette tunisienne n'est plus soutenable,
07:27 ce qui veut dire que les possibilités de remboursement normal de cette dette sont de plus en plus minces.
07:35 Voilà, donc ça c'est évidemment le risque actuel, car, Ezedin Saïdane, si cette situation se détériore encore,
07:44 il y a un risque que la Tunisie soit par exemple en défaut de paiement.
07:48 Oui, en effet, et d'ailleurs tous les rapports qui ont été publiés depuis 18 mois à peu près parlent de ce risque de défaut,
07:57 qui est également traduit dans la notation souveraine de la Tunisie, qui a été revue à la baisse dix fois depuis 2011.
08:03 Et aujourd'hui la Tunisie est classée par Moody's par exemple, CAA2, avec une perspective négative,
08:10 ce qui veut dire que le pays est classé comme un pays à risque très élevé,
08:14 et ceci veut dire que l'accès justement au marché financier international est désormais impossible.
08:20 La Tunisie n'arrive pas à signer un accord avec le FMI, les possibilités de mobiliser des ressources à l'extérieur sont devenues quasiment inexistantes,
08:29 et en plus, avec justement la revue à la baisse des notes des principales banques tunisiennes,
08:35 même le recours à l'endettement interne est devenu quasiment impossible,
08:40 ce qui veut dire également que le financement par la Banque centrale du déficit budgétaire,
08:46 ce qu'on appelle la monétisation du budget, n'est plus possible aujourd'hui,
08:50 parce que ça ferait en sorte que les banques soient dégradées davantage,
08:54 et ce serait très dangereux pour l'appareil financier et bancaire en Tunisie.
08:58 Donc on a effectivement ce vrai problème, et l'un des points qui est un point litigieux entre le FMI qui prête de l'argent...
09:09 Non, qui ne l'a pas encore prêté.
09:11 Enfin, qui exige pour prêter de l'argent que la Tunisie revoie son système, qui est perçu comme très coûteux,
09:17 de subvention à un certain nombre de produits de base,
09:21 et c'est là-dessus que j'aimerais vous entendre, Zeydine Saïdane, sur des produits tels que le pain,
09:28 tel que le carburant, ou tel que le lait, quel a été le système institué,
09:34 et pourquoi le FMI le pointe-t-il du doigt ?
09:37 Alors il faut préciser que le FMI n'exige rien du tout,
09:41 et que le FMI n'a jamais rien exigé de la Tunisie comme d'autres pays,
09:45 parce que le FMI ne fonctionne pas de cette façon-là.
09:48 Tout pays qui se présente au guichet du FMI pour demander un prêt doit présenter un programme de réforme,
09:55 parce que l'objectif du FMI, c'est que le pays en question sorte de sa crise et n'ait plus besoin du FMI à l'avenir.
10:01 Donc ce sont exactement les mêmes réformes qui ont été avancées par la Tunisie en 2013,
10:06 et encore une fois en 2016 et 2018, et encore une fois en 2022.
10:11 Ce sont exactement les mêmes réformes.
10:13 Il y a principalement trois axes qui sont les plus importants.
10:17 Le premier axe, c'est la masse salariale de la fonction publique,
10:21 qui a littéralement explosé, qui a été multipliée par quatre comparée à 2010.
10:27 Il y a le problème de la caisse de compensation et des prix des produits alimentaires de base et des carburants,
10:33 qu'il faut absolument réformer, parce que là aussi le budget explose,
10:37 et dépasse de très loin plus que le double du budget d'investissement.
10:41 Il faut dire que si le budget explose, c'est notamment parce qu'il y a beaucoup d'utilisation abusive de ces aides.
10:50 Il y a également un certain nombre de produits qui ont été largement subventionnés,
10:57 mais jugés comme étant subventionnés de manière trop importante.
11:02 Et le troisième point, Ezedin Saïdan ?
11:05 C'est la réforme des entreprises publiques, qui aujourd'hui sont dans une situation financière catastrophique.
11:12 Et ce sont ces entreprises publiques qui sont responsables des pénuries de produits de base sur le marché.
11:18 Et ces pénuries sont un indicateur extrêmement important de la difficulté de la situation économique et financière que traverse la Tunisie aujourd'hui.
11:27 Et en fait, c'est la crise des finances publiques qui a été en quelque sorte exportée sur les entreprises publiques,
11:34 qui aujourd'hui ont perdu la confiance de leurs fournisseurs,
11:37 et qui ont perdu la confiance des banques à l'intérieur et à l'extérieur.
11:40 Et pour pouvoir importer quoi que ce soit, ces entreprises doivent payer cash, et parfois même payer d'avance.
11:46 Sophie Bessis ?
11:47 Écoutez, je crois qu'il faut lier la politique et l'économie.
11:51 Ce sont deux choses qui, dans la situation actuelle de la Tunisie, ne peuvent pas être traitées de façon différente.
11:56 La situation que l'on a aujourd'hui, disons que le président Kays Saïd a trouvé en 2019,
12:02 est le résultat d'une gestion absolument calamiteuse de l'économie par les différents gouvernements qui se sont succédés entre 2011 et 2019,
12:12 qui ont tous, dans lesquels le parti Ennahda a joué un rôle central, sinon hégémonique, dans la totalité d'entre eux.
12:20 Et effectivement, comme le disait mon prédécesseur, la masse salariale de la fonction publique a explosé,
12:26 dans la mesure où Ennahda a recruté à tout va des dizaines de milliers de fonctionnaires et d'employés du secteur public,
12:33 pour se constituer une base sociale dans la fonction publique et le secteur public.
12:38 Donc, ça c'est un gros problème.
12:40 Et il est évident que écrémer le secteur public et la fonction publique aujourd'hui va poser des problèmes sociaux extrêmement importants,
12:50 dans un pays où le taux de chômage est autour de 15-16% et le taux de chômage des jeunes est le double de cela.
13:00 Donc, vous voyez un petit peu la question politiquement incendiaire.
13:05 Par ailleurs, la question de la subvention, la question de la compensation.
13:08 Évidemment, la compensation est aujourd'hui...
13:13 La compensation c'est l'aide à portée de pain.
13:15 Les subventions, les subventions...
13:16 Ou produits de base, le lait, le pain...
13:18 C'est-à-dire tous les produits céréaliers, farine, pâte, etc.
13:21 Le lait, le sucre, le carburant bien sûr, qui a connu quelques augmentations.
13:26 En 2022 déjà, le prix du carburant a augmenté de façon non négligeable.
13:31 Le problème de ces subventions, c'est à qui profitent-elles ?
13:35 Ce n'est pas une question de dépassement en fait.
13:38 Mais si l'on prend les subventions en produits de base par exemple,
13:42 eh bien tout le monde en profite de la même façon.
13:44 Il est évident que les classes populaires et les classes moyennes
13:48 en voie de précarisation doivent être protégées de l'inflation,
13:52 doivent être protégées de l'augmentation des prix,
13:54 parce que ce n'est plus soutenable.
13:57 Mais tel qu'il est aujourd'hui organisé,
14:02 le système de subvention ne va pas forcément à ceux qui en ont besoin.
14:05 Que demande le Fonds monétaire international ?
14:07 Parce que le Fonds monétaire international évidemment pose des conditions.
14:10 Et l'on sait, c'est pourquoi il y a une méfiance vis-à-vis du Fonds,
14:14 que dans les années 1980-1990,
14:17 les médecins ont tué pas mal de malades à l'époque,
14:20 dans les politiques d'ajustement structurel.
14:22 Aujourd'hui, le Fonds demande une restructuration des entreprises publiques,
14:26 effectivement dans lesquelles la main-d'œuvre est pléthorique,
14:31 qui sont toutes déficitaires.
14:33 C'est tout à fait raisonnable de demander cela.
14:36 Maintenant, le syndicat, l'UGTT entre autres,
14:40 et d'autres acteurs de la société craignent que cette restructuration
14:44 n'aboutisse à une privatisation.
14:46 Et ça, c'est autre chose.
14:48 Et pour ce qui est de la compensation,
14:50 effectivement, le Fonds monétaire estime que
14:53 une compensation des subventions qui absorbent jusqu'à 7-8% du PIB
14:59 ne sont pas possibles.
15:00 Et Zeydine Saïdane, aujourd'hui,
15:02 quelles sont les échéances pour la Tunisie ?
15:05 Quand je parlais de risque de défaut,
15:07 le FMI doit débloquer 2 milliards de dollars de prêts.
15:11 En tout cas, c'est de cela dont il est question aujourd'hui.
15:14 S'ils ne sont pas débloqués,
15:15 s'il n'y a pas une résolution rapide de cette question,
15:19 qu'est-ce qui pourrait se passer ?
15:20 À quelles échéances ?
15:22 Je voudrais rappeler d'abord que, devant cette situation-là,
15:26 les réserves de charges du pays ont fondu à une vitesse extraordinaire.
15:30 Aujourd'hui, nous avons l'équivalent de 93 jours d'importation,
15:34 sachant que la ligne rouge pour tous les pays
15:36 est considérée comme au niveau de 90 jours,
15:39 ce qui suffit à peine pour couvrir les importations de médicaments,
15:42 de produits alimentaires et de carburants.
15:44 Nous sommes à 93 jours,
15:45 donc c'est un signal très fort pour les gréanciers de la Tunisie
15:49 qu'il y a un risque de défaut très important.
15:53 Deux, il faut signaler aussi que l'année 2023
15:56 est une année particulièrement difficile.
15:59 C'est une année de sécheresse sans précédent.
16:01 On s'attend à une production céréalière de 2 millions de canneaux,
16:05 alors que la consommation en Tunisie est de 34 millions de canneaux.
16:09 Cela veut dire qu'il va falloir importer
16:11 toute la consommation de céréales,
16:13 et la Tunisie n'a pas les moyens pour ça aujourd'hui.
16:15 Troisième indicateur très important, c'est le service de la dette.
16:19 La Tunisie doit rembourser en 2023,
16:23 au niveau de la dette extérieure seulement,
16:25 l'équivalent de 4 milliards d'euros en principales et intérêts.
16:29 Et s'il n'y a pas d'accord définitif
16:32 avec le Fonds monétaire international,
16:35 la question est d'où la Tunisie va pouvoir
16:38 mobiliser les ressources nécessaires
16:40 pour couvrir les importations de produits essentiels
16:42 et pour rembourser la dette.
16:44 Ceci veut dire que le risque d'un rééchelonnement
16:48 de la dette extérieure de la Tunisie
16:50 devient de plus en plus évident aujourd'hui, malheureusement.
16:53 Ce qu'on cherchait à éviter par tous les moyens
16:55 pendant les 6 ou 7 dernières années
16:58 devient probablement aujourd'hui une partie de la solution.
17:01 Juste un mot pour compléter,
17:03 c'est que le président actuel est arrivé au pouvoir en 2019
17:07 et qu'aucune réforme d'importance n'a été faite
17:10 alors que cela fait 4 ans qu'il est au pouvoir
17:12 et qu'il cumule la totalité du pouvoir.
17:14 Donc il y a un immobilisme sur le plan économique et social.
17:17 En fait, il s'agit d'un magistère de la parole, mais pas d'action.
17:20 On en parle dans une vingtaine de minutes.
17:23 Sophie Bessis, vous êtes historienne.
17:25 Vous avez notamment écrit "Je vous écris d'une autre rive"
17:28 Lettre à Anna Renth aux éditions Elisade.
17:31 Ezedine Saïdane, vous êtes économiste.
17:34 Vous serez rejoint par le journaliste Guy Sidbon
17:37 et on évoquera les espoirs déçus des printemps arabes
17:42 à partir notamment de la situation en Tunisie.
17:45 8h sur France Culture.
17:47 Face à la prise de pouvoir des autocrates dans les pays arabes,
17:51 que reste-t-il de la Tunisie ? Première démocratie née du printemps arabe.
17:56 Pour en parler, nous sommes en compagnie de l'historienne Sophie Bessis,
18:00 de l'économiste tunisien Ezedine Saïdane
18:02 et nous accueillons le journaliste Guy Sidbon.
18:06 Bonjour Guy Sidbon.
18:07 Bonjour.
18:08 Avec aujourd'hui donc une situation politique qui se tend de plus en plus
18:14 avec l'emprisonnement de Raned Ghanouchi,
18:16 chef du mouvement islamo-conservateur Ennarda
18:20 qui a donc été mis en détention par les autorités,
18:23 un mouvement qui était prévisible, Guy Sidbon ?
18:26 L'intervention des militaires dans la politique tunisienne
18:41 a été tout à fait essentielle et elle a un certain sens,
18:45 c'est-à-dire que parallèlement à ce qui se passe en Égypte,
18:50 les militaires d'une certaine manière prennent le pouvoir
18:55 avec pour but l'élimination des islamistes.
19:00 C'est la préoccupation principale.
19:05 Et pour cela, mettre fin à la période démocratique,
19:13 le printemps arabe et instaurer un régime autoritaire
19:19 avec la certitude que les islamistes ne sont plus dans le jeu.
19:26 Car quand il y a eu une période démocratique,
19:31 ils ont systématiquement, au tout début, gagné les élections, partout.
19:37 Donc, démocratie dans nos pays, ça signifie largement,
19:43 électoralement, des victoires islamistes.
19:46 Ce n'est pas toujours le cas.
19:48 Ils susent les islamistes, susent aussi lorsqu'ils arrivent au pouvoir.
19:51 Mais c'est ainsi que ça s'est passé
19:54 et la préoccupation principale, c'est d'éliminer l'islamisme de la vie politique.
20:00 Il y a eu une tentation en Occident de considérer, par exemple,
20:03 que ce mouvement en Égypte pouvait être favorable
20:06 parce qu'il y avait une lutte contre les islamistes.
20:08 Pourquoi doit-on, au contraire, être préoccupé par la fermeture politique en Tunisie
20:14 qui ne touche pas d'ailleurs uniquement les islamistes ?
20:17 Si vous voulez parler d'un fort affaiblissement de la démocratisation,
20:24 avec certitude, on a le sentiment, chez nous,
20:30 que la démocratie à l'occidentale n'était pas faite pour nous.
20:34 Et que toute expérience qui va dans ce sens mène à la victoire des islamistes ou à un chaos.
20:43 Et donc, vous savez, vous allez en Tunisie,
20:49 les gens vous parlent de l'ère de la dictature de Ben Ali comme un âge d'or.
20:54 Et aujourd'hui, le retour à la démocratie n'est pas considéré comme un idéal.
21:04 - Sophie Bessis ?
21:06 - Je voudrais juste tempérer deux ou trois choses.
21:09 D'abord, je ne parlerai pas de démocratie à l'occidentale.
21:15 Il existe des principes démocratiques qui peuvent être considérés comme universels
21:20 et les modalités d'application de ces principes ne sont pas les mêmes partout.
21:24 Ça c'est la première chose.
21:26 Pour ce qui est de la lutte contre les islamistes,
21:29 il ne faut pas oublier que dans un pays comme la Tunisie, par exemple,
21:32 les islamistes ont perdu les trois quarts de leur électorat de façon parfaitement démocratique
21:37 entre les élections de 2011 et celles de 2019.
21:40 Et paradoxe de cette affaire, c'est qu'en 2019, au deuxième tour des élections
21:45 qui a vu la victoire de M. Qaïs Saïd, l'électorat de Narva a massivement voté pour Qaïs Saïd
21:53 car il était le candidat le plus conservateur et le plus proche idéologiquement de Narva.
21:58 Parce qu'aujourd'hui, la répression du parti islamiste en Tunisie
22:03 est une répression qui peut s'expliquer pour des raisons purement politiques
22:07 et non pas pour des raisons idéologiques.
22:09 Maintenant, je prendrai la question régionale.
22:11 La question régionale me semble extrêmement importante.
22:14 Or, effectivement, l'Egypte, la dictature du maréchal Sisi a lutté contre son propre mouvement islamiste.
22:20 Mais aujourd'hui, qu'est-ce qu'on voit ?
22:22 Que l'Egypte du maréchal Sisi, dans la guerre civile du Liban, soutient le général Borhan
22:29 qui est le plus proche des islamistes contre Hémétie qui est le plus lointain.
22:33 Donc c'est beaucoup plus compliqué que ça.
22:34 Et pour terminer, il ne faut pas oublier dans cet épuisement de ce que vous avez appelé les printemps arabes,
22:41 le rôle des états les plus réactionnaires et les plus conservateurs de la région,
22:46 comme les Émirats, comme le Bahreïn, comme l'Arabie,
22:48 qui ont pris la tête de ce que l'on peut appeler, même si je n'aime pas les formules,
22:54 la contre-révolution dans le monde arabe.
22:57 Qui cite bon une réaction ?
22:59 Une contre-révolution, évidemment, elle se passe sous nos yeux,
23:07 mais notre problème dans une vie politique libre,
23:15 c'est qu'il n'y a pas d'idéologie dans nos pays en dehors de l'islam.
23:23 L'idéologie démocratique n'en est qu'une que pour l'élite.
23:29 Tout autre idéologie est absente.
23:35 Il n'y a que l'islam.
23:37 Donc toute élection libre, même s'il y a des allers et des retours,
23:44 et en particulier en Tunisie pour Nadeh,
23:46 évidemment, après 10 ans de pouvoir, il a été considéré comme un voleur comme les autres,
23:51 mais l'idéologie elle-même de l'islamisme, elle est toujours là.
23:58 - Bien entendu, l'islamisme est toujours là,
24:01 et les partis islamistes gardent un socle, une base sociale,
24:05 même si leur électorat s'est effrité.
24:08 Mais je crois qu'il faut essayer de comprendre cela,
24:12 ce qui se passe dans les pays dits du sud aujourd'hui.
24:15 Ce n'est pas une bataille entre l'islam politique qui serait endogène,
24:21 qui serait indigène, et une démocratie à l'occidental.
24:25 C'est une bagarre à l'intérieur de ces pays
24:28 pour des projets de société qui ne sont pas les mêmes.
24:31 Et il ne faut pas croire que la raison démocratique
24:37 est absente de l'habitus culturel dans les pays arabes.
24:42 Et si l'on se balade, il y a des contradictions tout simplement.
24:45 Si on prend noir ou blanc, on se trompe.
24:49 Il y a des contradictions à l'intérieur des couches sociales,
24:53 à l'intérieur de chaque individu.
24:55 Et moi je crois que la contradiction principale aujourd'hui,
24:57 c'est que la majorité dans ces pays de l'opinion publique
25:02 est favorable à des principes démocratiques de type public.
25:07 C'est-à-dire choisir son gouvernement,
25:10 le renvoyer s'il ne vous plaît pas,
25:12 avoir des élections transparentes qui ne soient pas abominablement truquées
25:16 comme elles l'ont connue pendant des décennies.
25:19 En revanche, ce qui va être beaucoup plus compliqué,
25:22 c'est ce que j'appellerais le domaine des libertés privées.
25:25 Et là, effectivement, c'est plus compliqué.
25:27 Mais il ne faut pas voir l'islam politique d'un côté,
25:31 qui d'ailleurs lui-même est extrêmement hétérogène et très divers.
25:35 On ne peut pas prendre l'islam politique comme ça.
25:38 Dans ce cas-là, sinon je mettrais le président Khaïssaïd.
25:42 C'est un salafiste au sens étymologique du terme.
25:46 C'est-à-dire ?
25:47 C'est-à-dire c'est le retour aux fondamentaux de l'islam,
25:52 ce qu'on appelle les salafs dans l'islam classique.
25:56 C'est-à-dire le retour aux pieux ancêtres, le retour aux guides.
26:01 Donc le président Khaïssaïd est idéologiquement très proche du parti de Mardin.
26:07 Une réaction ?
26:08 Je vous suis absolument.
26:11 L'islamisme est largement partagé,
26:14 et en particulier, le président Khaïssaïd est un islamiste
26:21 non organique.
26:23 Mais l'important est de savoir comment ça se manifeste et ça s'incarne.
26:29 Or, en Tunisie, ça s'est incarné dans NAD,
26:33 qui est le seul parti en Tunisie organisé.
26:39 Les autres hommes politiques sont des individus isolés.
26:45 Le seul qui a un appareil, c'est NAD.
26:48 Et quand on arrête, comme on l'a fait, le président Ranouchi,
26:54 on met en cause ce seul parti organisé, islamiste.
27:02 Et donc on se retrouve avec un émiettement politique,
27:07 et rien d'autre.
27:11 Et donc, quoi ? Qu'est-ce qui reste ? Il reste l'armée.
27:14 Et c'est elle qui est aux commandes.
27:16 Non, c'est l'armée et les services sécuritaires.
27:18 Ce n'est pas la même chose.
27:20 Et il y a une conjonction entre l'armée, qui soutient le chef de l'État actuel,
27:28 puisque même des ministres d'importance sont des militaires,
27:31 et les services sécuritaires.
27:33 L'armée et la police, ce n'est pas la même chose.
27:35 Ce sont deux forces organisées, qui, pour reprendre un vocabulaire plus classique,
27:41 représentent l'État profond, et l'État profond a rejoint,
27:46 pour des raisons que l'on peut expliquer, la dérive autoritaire du président Kays Saïd.
27:51 Et c'est Saïd Han étant duplex avec nous depuis la Tunisie.
27:56 Sur le plan économique, on a vu il y a quelques minutes
28:00 que la situation en Tunisie était préoccupante,
28:03 avec une conséquence très concrète du point de vue de l'inflation,
28:07 du point de vue du chômage, et notamment du chômage des jeunes.
28:11 Et cela a évidemment de nombreuses conséquences économiques.
28:16 Ce qui s'est passé, c'est qu'en 2010, ou plutôt en 2011,
28:21 on a eu la révolution pour deux raisons principales.
28:24 Je parle du côté économique, bien entendu.
28:28 Il y avait des disparités régionales très importantes,
28:33 et il y avait un problème de chômage, et notamment du chômage des jeunes
28:37 diplômés d'université. Ce qui se passe aujourd'hui,
28:40 c'est qu'on constate que les disparités se sont approfondies.
28:44 Elles sont beaucoup plus graves que ce qu'elles étaient en 2010, en fait.
28:49 Et le chômage des jeunes, notamment, il est aujourd'hui à 42 %.
28:54 Donc là, c'est vraiment un échec total sur ces deux aspects les plus importants.
28:59 Mais entre-temps, on avait des indicateurs ou des ratios
29:03 qui étaient tout à fait corrects en 2010, qui malheureusement,
29:07 aujourd'hui, se sont dégradés de façon très grave.
29:10 Et je pense que le principal défi de la Tunisie, aujourd'hui,
29:14 à côté du défi politique, bien entendu, le principal défi,
29:17 c'est le problème de la dette. C'est ça qui fait peur à la Tunisie
29:21 et aux Tunisiens aujourd'hui, comment gérer cette montagne de dettes
29:25 qui s'est accumulée bien avant le 25 juillet 2021.
29:29 Mais il se trouve que nous n'avons rien fait pour gérer cette situation
29:33 difficile depuis le 25 juillet 2021.
29:36 Et c'est ce qui explique aujourd'hui cette hésitation énorme
29:41 de la part du FMI et des autres bailleurs de fonds, d'ailleurs,
29:44 vis-à-vis de la Tunisie, en disant, est-ce que la Tunisie va pouvoir
29:48 réaliser les réformes indispensables et qui ont trop tardé,
29:53 mais qui sont absolument inévitables aujourd'hui ?
29:56 - Sophie Bessis, il y a une conséquence à cet égard avec le niveau élevé
30:00 du chômage des jeunes, c'est une volonté de beaucoup de jeunes tunisiens
30:03 de quitter le pays.
30:05 - Tout à fait. Il y a deux types d'émigration aujourd'hui en Tunisie.
30:09 Il ne faut pas oublier que ce n'est pas seulement en Tunisie
30:12 que ce problème existe, c'est-à-dire que les échecs de ce qu'on appelle
30:16 le développement font que sur tout le continent africain,
30:20 il y a un désir d'émigration extrêmement important qui est,
30:24 si vous voulez, quelque chose de humainement tout à fait compréhensible
30:28 depuis que les humains existent, ils migrent.
30:31 N'oublions pas que jamais les humains n'ont été immobiles
30:34 sur leur territoire, donc vouloir arrêter l'émigration
30:38 comme veut le faire l'Europe est une absurdité totale.
30:41 Mais ceci dit, si je puis dire, il y a deux types d'émigration.
30:45 Il y a l'émigration dont on parle tout le temps, si vous voulez,
30:48 l'émigration, les "boat people", les bateaux, l'émigration clandestine
30:52 de jeunes qui n'ont pas de boulot, qui n'ont pas de diplôme
30:55 et qui veulent débarquer en Europe. C'est une des raisons pour lesquelles
31:00 d'ailleurs l'Europe qui a une obsession sur la question migratoire,
31:03 c'est une des raisons pour lesquelles l'Europe continue à soutenir
31:07 le président Kays Saïd, ayant peur que l'indélitement total de la Tunisie
31:13 amène des vagues migratoires extrêmement importantes.
31:15 Mais il y a une autre émigration qui est extrêmement grave
31:18 pour les pays du Sud, la Tunisie entre autres, mais pour d'autres pays du Sud,
31:22 qui est l'émigration des plus diplômés des Tunisiens, les médecins,
31:26 les informaticiens, les ingénieurs. Il y a une appelle.
31:30 Et là, les responsabilités sont partagées.
31:33 - Cette année, 1000 médecins tunisiens se sont installés en France.
31:39 Depuis la révolution, depuis 2011, il y a l'émigration de 8000 médecins tunisiens.
31:46 Je voudrais juste dire deux choses là-dessus.
31:48 Il y a évidemment une responsabilité interne, c'est-à-dire que ces professions
31:54 supérieures ne trouvent pas les conditions idéales de leur travail.
31:59 Mais il y a une responsabilité externe, c'est-à-dire que c'est une poursuite
32:03 de la politique extractiviste des pays développés vis-à-vis des pays
32:08 développés, c'est-à-dire qu'on pompe leur richesse et malheureusement,
32:13 cela accroît les problèmes d'infrastructure, les problèmes humains,
32:20 les problèmes d'éducation, de santé que connaissent ces pays.
32:24 - Je voudrais ajouter autre chose sur un autre plan.
32:28 Les rapports entre l'Algérie et la Tunisie.
32:32 La Tunisie est dans un état de misère financière exceptionnel,
32:39 avec le risque de voir sa monnaie disparaître du jour au lendemain
32:44 pour défaut de paiement.
32:46 L'Algérie a rarement été aussi prospère et elle est noyée sous les réserves.
32:55 L'état algérien est fort, organisé, l'état tunisien est dans cet état-là.
33:01 Et vous avez une sorte d'influence, je dirais presque de protectora
33:09 de l'Algérie sur la Tunisie.
33:12 - C'est-à-dire ?
33:13 - C'est-à-dire que d'abord pour des raisons financières, on a besoin d'argent.
33:17 Les seules qui nous donnent un peu de mendicité, c'est les Algériens.
33:22 Notre sécurité, par qui elle est assurée ?
33:31 Entre l'armée tunisienne et l'armée algérienne, il n'y a aucun rapport.
33:35 Et donc le rapport de force clairement appartient à l'Algérie.
33:43 L'influence est devenue telle que le président tunisien a été obligé de se rabibocher
33:57 et de reconnaître le front polisario, c'est-à-dire d'être du côté ouvertement.
34:05 - Rappelez-nous ce qu'est le front polisario et pourquoi c'est une décision importante.
34:09 - Parce que la guerre du Sahara occidental qui dure depuis des dizaines d'années maintenant
34:18 est largement alimentée par l'Algérie, qui pour affaiblir le Maroc, soutient totalement les forces du Sahara occidental.
34:37 Et qui sont incarnées par le polisario.
34:42 Et lorsque la Tunisie reconnaît cette force comme légitime,
34:51 évidemment c'est un agifle au Maroc et un ralliement total à l'Algérie.
34:58 - Ce qui veut dire que sur le plan de l'équilibre régional, Sophie Bessis,
35:03 cette crise tunisienne a des conséquences.
35:06 - Je voudrais rajouter une chose qui m'apparaît extrêmement importante.
35:10 Depuis 2011, et je suis tout à fait d'accord avec Guissidebon,
35:13 quand il dit que la Tunisie est en train de devenir une sorte de protectorat de l'Algérie,
35:18 c'est malheureusement tout à fait vrai. Mais de protectorat de qui ?
35:21 Depuis 2011, un des cauchemars du régime algérien, c'est l'extension de la démocratie à ses frontières.
35:30 Et donc, évidemment, l'expérience démocratique tunisienne, si imparfaite a-t-elle été,
35:36 était un cauchemar pour le régime algérien.
35:39 Vous savez que le régime algérien a réussi à réprimer totalement le fameux mouvement du Hirak,
35:47 qui a duré deux ans. Donc nous sommes dans une séquence autoritaire,
35:50 une des plus dures qu'a connue l'Algérie depuis son indépendance.
35:53 Et que donc l'Algérie aide également le régime tunisien à sa dérive autoritaire.
36:00 Cela lui convient. Donc il y a une conjonction, d'ailleurs maghrébine si l'on peut dire aujourd'hui,
36:05 quelles que soient les divergences entre les trois pays du Maghreb central,
36:09 il y a une convergence vers un autoritarisme et un rétrécissement du territoire de la démocratie.
36:16 Alors aujourd'hui, effectivement, l'Algérie est arrivée à faire ce qu'elle n'avait pas réussi
36:22 à faire depuis l'indépendance de l'Algérie, c'est-à-dire de faire rentrer la Tunisie dans sa zone d'influence.
36:29 La Tunisie a toujours eu, sous Bourguiba, sous Ben Ali, selon des modalités différentes,
36:34 mais une sorte de neutralité. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
36:38 Et donc là, la dimension régionale est extrêmement importante.
36:42 Nous avons un arc, à part la Libye qui est un peu différent,
36:46 mais un arc autoritaire qui se reconstitue dans toute la région du Maghreb et du Moyen-Orient.
36:51 Un mot de conclusion, Ezedin Saïdan, sur cette situation économique précaire.
36:56 Vous avez insisté sur la dette. La Tunisie pourrait obtenir un prêt du FMI,
37:01 mais pour l'instant, ce prêt n'est pas débloqué.
37:05 Et on a évoqué le contraste avec l'économie algérienne.
37:09 Alors, effectivement, un mot sur cette dépendance de la Tunisie vis-à-vis de l'Algérie.
37:15 Il suffit de citer deux chiffres. Aujourd'hui, 97% de l'électricité en Tunisie est produite à partir du gaz.
37:22 Et 90% du gaz est importé à partir de l'Algérie.
37:26 Donc ça donne une idée de cette dépendance, malheureusement, pas seulement politique,
37:31 mais économique, qui devient beaucoup trop poussée,
37:34 qui isole un peu la Tunisie vis-à-vis du reste du monde.
37:39 Est-ce que la situation peut être sauvée ? Je continue à penser que oui.
37:43 Si la volonté politique y est, il y a toujours moyen de sauver la situation économique et financière de la Tunisie.
37:51 Si on le veut, nous avons présenté des propositions à plusieurs reprises.
37:55 Certaines sont encore valables aujourd'hui, si on le veut.
37:58 Mais si on continue à ignorer, comme on le fait actuellement, la situation économique et financière,
38:04 je crois que nous allons être devant des difficultés énormes pour la Tunisie.
38:08 Un dernier mot, Guy Sidbon, cette fermeture politique du régime, aujourd'hui,
38:12 suscite beaucoup de peur à Tunis ou ailleurs en Tunisie.
38:16 Aujourd'hui, c'est la liberté d'expression qui est en péril.
38:20 Les prêtres arabes ont fait naître un rêve, une utopie, une illusion.
38:31 On a pensé qu'on pouvait être des démocraties où l'état de droit régnerait,
38:41 où les libertés seraient en place.
38:51 Non. Clairement, c'était une illusion, c'était une utopie.
38:55 Nous ne sommes pas des pays ouverts à ces démocraties.
39:00 - Sophie Bessis ?
39:01 - Vous me permettrez de ne pas être d'accord avec l'essentialisme de mon ami Guy Sidbon.
39:06 Il n'y a pas d'essentialisme en histoire. La démocratie, c'est une construction.
39:12 Et cette démocratie était en train de se construire mal, avec des défauts.
39:17 Connaissez-vous une démocratie qui s'installe du jour au lendemain de façon parfaite ?
39:21 Cela n'existe nulle part dans le monde, même dans un pays comme la France.
39:24 Aujourd'hui, on parle de crise démocratique.
39:26 Le problème, c'est qu'il y a des forces, y compris avec le soutien des Occidentaux,
39:35 qui bloquent ce cheminement démocratique.
39:39 Les résistances existent. L'histoire n'est pas terminée. Le chapitre n'est pas fermé.
39:45 - Merci Sophie Bessis. Je rappelle que vous êtes historienne.
39:49 On peut notamment trouver votre ouvrage. Je vous écris d'une autre rive, "Lettre à Nahrend".
39:54 Merci Zeydine Saïdane, vous avez été en duplex avec nous depuis la Tunisie.
39:59 Et merci à vous, Guy Sidbon, journaliste, notamment à L'Obs et à Marianne.
40:06 8h44 sur France Culture.

Recommandations