Quel est le point commun entre JCVD, Street Fighter et Michael Jordan ? Ce sont des légendes !
Entouré d’experts triés sur le volet, Sébastien Abdelhamid vous invite Dans La Légende.
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00:00:00 Bonjour à tous et bienvenue dans La Légende.
00:00:02 Dans La Légende, c'est l'émission qui retrace l'histoire de vos émotions.
00:00:06 On parle de cinéma, de jeux vidéo, de mangas, de littérature, de musique.
00:00:12 On parle de culture.
00:00:14 Aujourd'hui, on parle d'un des plus grands rappeurs de tous les temps,
00:00:18 un énorme artiste, Eminem.
00:00:20 *Générique*
00:00:31 Et pour parler de cette légende, j'ai avec moi un plateau incroyable.
00:00:37 Pierre, tu es critique musicale, auteur du livre "Détroit Sample".
00:00:40 Sample ou sample ?
00:00:41 Sampleur.
00:00:42 Sampleur, carrément. Moi, j'ai raccourci, j'ai dit sample, voilà.
00:00:47 C'est un bouquin que je recommande. Merci d'être présent avec nous.
00:00:50 Donc le rap de Détroit, tu connais un petit peu.
00:00:52 Ça tombe bien, je pense qu'on va en parler un petit peu après.
00:00:56 À tes côtés, Ace Moody, créateur de contenu.
00:00:58 Je conseille ta chaîne YouTube, très intéressante.
00:01:01 Le cinéma, la musique, tu es déjà venu nous voir pour parler musique d'ailleurs.
00:01:05 Donc, re-bienvenue sur ce nouveau plateau pour cette nouvelle saison.
00:01:09 Et à côté de toi, nous avons Baptiste Quié, co-fondateur d'Interlude, le Média.
00:01:14 Bienvenue. Pareil, je pense que ça te parle un petit peu, Eminem ?
00:01:17 Un petit peu.
00:01:18 Un petit peu.
00:01:19 Très cool. Messieurs, on a peu de temps pour un gros, gros chapitre qui nous attend.
00:01:26 Mais on va se faire plaisir.
00:01:27 On va essayer de faire plaisir un maximum aux fans,
00:01:30 mais aussi aux gens qui n'ont pas trop de connaissances sur Eminem,
00:01:34 à part les grandes lignes.
00:01:35 On va essayer d'approfondir ça.
00:01:37 Commençons tout de suite par la jeunesse de Marshall.
00:01:40 Commençons par le début, parce que oui, avant Eminem,
00:01:48 il y a un jeune garçon qui a une vie pas toujours facile.
00:01:53 Est-ce qu'on peut replacer le contexte de cette jeunesse ?
00:01:57 Messieurs, qui veut s'attraper ?
00:01:58 Eminem, en fait, il grandit dans un contexte assez difficile.
00:02:02 Sa mère l'a eu très jeune, vers 16 ans.
00:02:05 Et puis, elle-même n'avait vraiment pas beaucoup d'argent.
00:02:08 Et le père d'Eminem l'a abandonné alors qu'il n'avait que 9 mois.
00:02:12 Et après, sa mère a essayé de joindre les deux bouts avec des jobs ici et là, très précaires.
00:02:17 Et donc, il y a eu également beaucoup de déménagement entre différents États.
00:02:23 Une vingtaine de déménagements dans l'enfance du jeune Marshall.
00:02:27 - Ça fait beaucoup quand même. - Ça fait beaucoup.
00:02:28 Et donc, il a eu beaucoup de difficultés à s'intégrer également dans des écoles.
00:02:32 Il a eu très peu d'amis, donc s'est forgé un monde sur lui-même.
00:02:36 Voilà, au début dans les comics, dans les BD, et puis après dans l'univers du rap.
00:02:41 Alors, tu l'as dit, il a fait beaucoup d'école.
00:02:44 Il s'avère qu'à l'école, ça ne se passe pas trop bien.
00:02:47 Il se fait clairement harceler.
00:02:49 Il finit dans le coma plusieurs jours après une bagarre.
00:02:52 Alors, plus qu'une bagarre, c'est quelqu'un qui va carrément...
00:02:56 Ils vont le bullier à plusieurs.
00:02:58 Ils vont lui cogner la tête contre des toilettes.
00:03:01 Ça, c'est un élément quand même très... Déjà un grave,
00:03:05 mais aussi important pour la suite de ce que va devenir Eminem.
00:03:09 Il parlera de ce harceleur dans une chanson.
00:03:12 Way before my baby daughter Hayley,
00:03:14 I was harassed daily by this fat kid named Angelo Bailey,
00:03:17 an 8th grader who acted obnoxious 'cause his father boxed us.
00:03:20 So every day he shoved me in the lockers.
00:03:22 One day he came in the bathroom while I was pissing
00:03:25 and had me in the position to beat me into submission.
00:03:27 He banged my head against the urinal 'til he broke my nose,
00:03:30 soaked my clothes in blood, grabbed me and choked my throat.
00:03:32 Il s'avère que, ironie du sort, le harceleur et celui qui l'a mis dans le coma
00:03:37 va porter plainte contre lui pour essayer de gratter de l'argent.
00:03:41 Il n'aura rien. - Comme beaucoup d'autres.
00:03:43 - Comme beaucoup d'autres. Mais est-ce qu'on s'arrête sur cette partie-là ?
00:03:47 Est-ce que ce n'est pas lors de ce procès où la juge a énoncé son verdict en rappel ?
00:03:51 - C'est Brime, ça, exactement. - C'est incroyable.
00:03:54 C'est un truc de ouf. C'est-à-dire que la juge,
00:03:59 elle a fait un petit texte à la fin, elle a lâché un 16 pour dire
00:04:03 "Bah non, t'auras pas de thunes." C'est quand même incroyable.
00:04:06 - Parce que ce qu'il demandait, ce n'est pas réparation pour un préjudice
00:04:12 par rapport à ce qui est dit dans la chanson.
00:04:14 Ce qu'il demandait, c'est la réparation d'un préjudice
00:04:17 parce que le gars en question, qui s'appelait D'Angelo, je crois,
00:04:20 il voulait être rappeur. Et Eminem l'avait détruit dans la chanson "Brain Damage".
00:04:25 Il passait pour le harceleur de la star numéro un du rap
00:04:29 qui s'est fait détruire dans une chanson.
00:04:31 Donc pour commencer une carrière dans le rap, c'est un peu compliqué.
00:04:34 Et c'est ça qu'il voulait faire réparer par Eminem.
00:04:39 Et la juge lui a dit "Mais non, c'est pas comme ça que ça marche.
00:04:43 Votre carrière, elle n'existe pas. Il n'y a pas de préjudice à réparer."
00:04:47 Et probablement parce que ça devait l'amuser assez, ce truc,
00:04:51 elle lui a montré qu'elle aussi, elle pouvait faire une carrière dans le rap.
00:04:55 - Je trouve ça tellement cool comme anecdote, honnêtement.
00:04:58 C'est assez ouf. Donc voilà, on a une jeunesse très, très compliquée,
00:05:02 donc coma, et de ce coma, il a des séquelles physiques.
00:05:06 - Oui, exactement. Pendant plus d'un an, il a dû réapprendre des gestes simples,
00:05:09 à parler, il a eu des troubles de la vision.
00:05:12 Il a dû réapprendre tous les gestes simples du quotidien.
00:05:15 - C'est pour ça que je le disais, c'est quelque chose qui va le suivre
00:05:17 après, par la suite. Mais il atterrit donc à Détroit,
00:05:21 puisque multiple déménagement, il atterrit à Détroit.
00:05:24 - À Détroit et à Warren, qui est une ville au nord de Détroit,
00:05:30 donc qui circule dans les différentes maisons de sa mère.
00:05:34 - Enfin des caravanes, plutôt, même.
00:05:37 - Non, ça c'est dans le film. - Ah, c'est juste une légende de la caravane.
00:05:40 - Mais après, les maisons à Détroit, elles ne valent pas plus cher que des caravanes,
00:05:45 parce que Détroit, dans les années 90, c'est le cimetière de l'industrie américaine.
00:05:51 Le centre de Détroit et l'approche banlieue a été sinistré.
00:05:56 Il y a eu un soulèvement urbain en 1967 qui a fait fuir toutes les élites blanches
00:06:01 dans la grande banlieue.
00:06:03 Donc là où il grandit, c'est des quartiers très pauvres.
00:06:06 Il circule entre les quartiers blancs et les quartiers noirs,
00:06:09 mais il va être un petit blanc dans un environnement de jeunes
00:06:15 issus de la communauté noire pauvre de Détroit.
00:06:21 Et il y a une chanson plus tard, en 2014-15, qui va reprendre un slogan,
00:06:28 qui est un slogan de t-shirt de Détroit, c'est "Détroit vs. Everybody".
00:06:33 Cette idée que quand on est de Détroit, on est oublié de l'Amérique,
00:06:37 méprisé de l'Amérique, quand il y a des vannes dans les séries américaines
00:06:42 sur "Le coin qui craint le plus en Amérique, c'est toujours Détroit".
00:06:46 Et donc les gens qui vivent là, ils vivent avec le mépris général
00:06:52 et ça les forge, ils ont envie de se battre.
00:06:55 Et c'est ça, Eminem, non seulement il est dans cette ville
00:06:59 qui est ridiculisée par tout le monde,
00:07:01 mais à l'intérieur de cette ville, il est une minorité.
00:07:04 Plus petit, il a été une victime dans la cour de récréation.
00:07:07 Et puis il est un jeune blanc qui veut marcher dans le rap.
00:07:12 C'est clairement l'outsider, il n'est pas du tout…
00:07:16 - On va en venir à comment il va tourner dans le rap.
00:07:19 - Et cette rage qu'il a, tous les rappeurs de Détroit l'ont,
00:07:24 tous les gens de Détroit l'ont,
00:07:26 et c'est ça qui fait qu'on peut le rattacher à cette ville.
00:07:29 - C'est très intéressant pour rester sur Détroit,
00:07:32 c'est que, comme tu le disais, c'est une ville sinistrée,
00:07:34 c'était le fleuron de l'automobile bien avant, etc.
00:07:39 Et même dans le cinéma américain, on va montrer Détroit
00:07:42 comme une ville détruite, et paradoxalement,
00:07:44 c'est un des meilleurs exemples,
00:07:47 c'est pas un cinéaste américain qui va le montrer,
00:07:49 mais c'est Paul Verhoeven avec Robocop,
00:07:51 qui va vraiment montrer Détroit comme à l'abandon,
00:07:56 une ville vraiment laissée aux mains des brigands, etc.
00:08:00 Mais c'est parce que c'est ce qu'elle représente
00:08:02 dans l'inconscient collectif.
00:08:04 - Eddie Murphy dans "Le Flic de Beverly Hills",
00:08:06 il vient de Détroit.
00:08:07 - Bien sûr, on le voit au début d'ailleurs.
00:08:10 - C'est les As aussi qui vont beaucoup jouer sur ce cliché,
00:08:13 faire beaucoup de vannes méchantes sur Détroit.
00:08:16 Mais il y a un point qu'on n'a pas abordé,
00:08:19 qui est assez important, c'est que lui, à la base,
00:08:21 il vient de Missouri, qui est une région du Médouest,
00:08:24 enfin, c'est pas la région, mais il vient de là-bas,
00:08:27 et que c'est un endroit qui est relativement très blanc,
00:08:31 et qui va se retrouver dans un environnement
00:08:33 complètement à l'opposé.
00:08:35 - Alors comment, on l'a dit,
00:08:38 il avait une passion pour les comics,
00:08:40 il faisait quelques dessins aussi,
00:08:42 et un des dessins les plus connus qu'on peut voir de lui,
00:08:44 c'est justement, il y a Robocop.
00:08:46 - Exactement.
00:08:47 - C'est pour l'inconscient collectif, encore une fois,
00:08:50 Détroit, toujours présent.
00:08:52 Comment ça va se passer à l'école,
00:08:56 au-delà de ses relations, etc.,
00:08:59 ses résultats ?
00:09:01 C'est pas quelque chose...
00:09:03 - Clairement, il est en échec scolaire,
00:09:05 par contre, il y a une matière qu'il apprécie particulièrement,
00:09:07 c'est l'anglais.
00:09:08 Mais au-delà de ça, il a arrêté en 3ème,
00:09:10 il a redoublé 3 fois sa 3ème, et après, l'école...
00:09:13 - 3 fois, quand même.
00:09:14 Mais après, c'était dû à beaucoup d'absentéisme, également,
00:09:17 parce que 3 fois, il faut le savoir.
00:09:19 - Ça s'explique aussi par le harcèlement qu'il a subi, je pense.
00:09:22 Puis en plus, l'environnement familial aussi,
00:09:24 qui n'était pas facile.
00:09:26 Il y a aussi cette histoire qu'il y aurait une lettre
00:09:29 du père d'Eminem, donc Marshall Bruce Matthews II,
00:09:32 qui aurait dit qu'en fait,
00:09:34 Debbie serait parti sans laisser d'adresse,
00:09:36 ce qui tue un petit peu aussi le narratif de Debbie
00:09:38 sur le fait que ça serait le père qui l'aurait abandonné.
00:09:41 C'est plus compliqué que ça.
00:09:42 Enfin, c'est plus complexe.
00:09:43 - C'est ce qu'il déclare des années après.
00:09:46 - En 2001, quand il a pété.
00:09:47 Donc bon, c'est à prendre aussi avec des pincettes.
00:09:50 Mais ça va le forger,
00:09:53 parce que d'un petit gars timide et tout frêle,
00:09:56 il va se forger une espèce de carapace
00:09:58 et un petit côté vraiment nerveux,
00:10:01 il va forger cet esprit de provocation
00:10:04 où en fait, il a besoin de s'imposer, tout simplement.
00:10:06 - Il doit exister.
00:10:07 - Il doit exister.
00:10:08 - Et comment on vient à cette appétence ?
00:10:10 Donc tu disais, il aime l'anglais à l'école.
00:10:12 Donc c'est déjà un bon début, j'ai envie de dire.
00:10:17 Comment il en vient à la musique ?
00:10:19 - Il y a Ronnie Nelson.
00:10:21 - En fait, c'est son oncle,
00:10:24 puisque la grand-mère d'Eminem et la mère d'Eminem
00:10:26 ont accouché à peu près en même temps.
00:10:28 - Trois mois de différence, c'est ça ?
00:10:29 - Exactement, tout à fait.
00:10:30 Donc il était très proche de son oncle Ronnie
00:10:32 et vers les 9-10 ans,
00:10:34 Ronnie lui a apporté une cassette,
00:10:35 c'était "Rickless" de Ice-T.
00:10:37 Et donc là, Eminem,
00:10:39 il s'est passé quelque chose en lui, en fait.
00:10:41 Il a vraiment adoré ce qu'il a écouté.
00:10:45 - C'était sa première rencontre avec le hip-hop.
00:10:48 - Première connexion avec le rap.
00:10:49 Et de là, c'est nourri une passion.
00:10:51 Et ce qu'il appréciait, c'était la rythmique,
00:10:54 mais aussi les rimes et le vocabulaire qu'il y avait dedans.
00:10:56 Donc de cette base-là, en fait,
00:10:59 il s'est mis même à lire le dictionnaire avec sa mère,
00:11:02 des fois pour comprendre des mots, etc.
00:11:04 - Alors Ice-T, Pierre, on est loin du rap de Détroit.
00:11:07 - Ouais, Ice-T, c'est un vieux de la vieille de Los Angeles.
00:11:12 À cette époque-là,
00:11:13 il s'était pas encore réinventé en gangsta-rappeur.
00:11:18 Il fricotait dans les films de hip-hop de Hollywood.
00:11:22 - New Jack City ?
00:11:23 - Non, non, non, les films de breakdance.
00:11:26 - OK.
00:11:27 - Il était MC.
00:11:28 Mais il a déjà sorti ses grands albums de gangsta-rap.
00:11:32 Donc c'est un type qui est un peu un parrain à l'ancienne du rap,
00:11:36 alors même que le rap est à ses débuts.
00:11:38 Il est déjà assez âgé,
00:11:40 mais il fait partie de ces rappeurs qui travaillent énormément leur texte.
00:11:44 En fait, lui, il vient de la culture des rimes urbaines.
00:11:49 Il y a une très grande traduction orale dans la communauté noire américaine
00:11:53 de raconter des histoires en rimes.
00:11:54 Ça date des temps de l'esclavage.
00:11:56 Et il y avait une tradition particulière qu'on appelle les gangsta-rimes,
00:12:00 qui étaient des poèmes sur les gangsters
00:12:06 que les types se racontaient dans les cours des prisons, dans la rue, etc.
00:12:10 Et Ice-T, il vient de cette culture-là.
00:12:13 Au début, il fait des rimes comme tout le monde,
00:12:15 comme "Sugar Hill Gang", "Je suis dans la place", etc.
00:12:18 Petit à petit, il va introduire le crime là-dedans,
00:12:21 mais au moment où Eminem le saisit,
00:12:25 il est un très bon rappeur technique dans une culture qui est en train de naître.
00:12:32 Et c'est ça qui est incroyable, et c'est ça qui va le fasciner,
00:12:35 c'est qu'il entend quelque chose qui n'a jamais été entendu.
00:12:39 Le rap, c'est vraiment un truc qui surgit dans la culture populaire
00:12:43 qu'on n'avait jamais entendu.
00:12:45 – On est en quelle année là ?
00:12:46 – 84, 85, et tout ça.
00:12:49 Et il va devenir un nerd du rap, et il va le rester d'ailleurs, toute sa vie.
00:12:52 Quand on a 12 ans, 13 ans, aller dans le dictionnaire, c'est pas normal.
00:12:57 C'est qu'on a un truc dans sa tête qui fait qu'on est obsessionnel.
00:13:02 Sa mère raconte d'ailleurs qu'il était obsessionnel avant,
00:13:04 pour les dinosaures, pour les comics, etc.
00:13:06 Donc il a ce truc, et c'est parce qu'il est obsessionnel,
00:13:10 et parce qu'il a envie d'imiter, qu'il va se mettre dans la technique,
00:13:13 et qu'il va tout à coup découvrir qu'il y a un truc qui fait kiffer dans la vie,
00:13:18 c'est ça.
00:13:19 C'est pas l'école, c'est pas le boulot, c'est le rap.
00:13:22 Et le rap va devenir sa vie, littéralement,
00:13:27 et pendant 10 ans, il va galérer sans aucun succès,
00:13:31 mais avec cette foi dans le rap, c'est ça qui le fait tenir.
00:13:34 Il a des petits boulots, etc.
00:13:36 Mais il a trouvé son truc, il ne cherche pas forcément à être une super star,
00:13:42 le rap lui suffit, il a envie de pouvoir en vivre,
00:13:46 c'est ça son truc, pendant 10 ans.
00:13:48 J'ai envie d'arrêter de travailler pour faire du rap.
00:13:50 - Parce qu'il fait plein de boulot, comme tu disais.
00:13:52 - Et pendant ces 10 années-là, ça va être un peu son apprentissage,
00:13:56 il va imiter tous les styles qui se succèdent,
00:13:58 donc il commence avec Ice-T, après Run-D.M.C.,
00:14:01 et puis après Beastie Boys, qui lui montrent qu'on peut être blanc et faire du rap,
00:14:05 Kid Rock, qui est un rappeur un peu scandaleux des trois de cette époque,
00:14:12 et après Nas, les rappeurs plus compliqués, Guru de Gangstar, etc.
00:14:19 Et c'est son école.
00:14:21 - Et il va faire une rencontre aussi assez importante.
00:14:25 - Son voisin, directement, Proof.
00:14:27 - Voilà. Tu peux nous en parler, Ice-T.
00:14:30 - Proof, c'est le voisin d'Eminem, ils vont évidemment aller à l'école, etc. ensemble,
00:14:36 et c'est surtout... Proof va très vite prendre une place très importante
00:14:40 dans le milieu rap de Détroit, au St-Andrew Hall, au Hip-Hop Shop, au Shelter,
00:14:47 et en fait, il va hoster des open mics, mais aussi des battles.
00:14:51 - Mais ils ont quel âge, à ce moment-là ?
00:14:54 - En fait, ils se sont rencontrés déjà au lycée, et au fil du temps, au début,
00:14:59 ils faisaient même des concours au lycée, Proof faisait provoquer les autres pour rapper,
00:15:03 et Proof disait "Bon, moi, tu peux pas me battre, je suis trop fort,
00:15:06 par contre, il y a le petit blanc, là, si tu veux",
00:15:08 et du coup, les gens y allaient de manière ultra sereine,
00:15:11 et au final, Eminem les battait à coup sûr.
00:15:13 - Déjà, à cette époque, au lycée, déjà, en battle, il les exterminait.
00:15:18 - Et en fait, avec Proof, ils ont une alchimie, Eminem le dira,
00:15:21 ils commençaient une rime, Proof arrivait à la finir, etc.
00:15:23 Mais Proof, lui, vraiment, il a un talent naturel, c'est qu'il freestyle,
00:15:27 il écrit pas, lui, c'est très instinctif, c'est pas un rappeur studio,
00:15:30 par contre, c'est un rappeur de freestyle de rue.
00:15:33 - Alors que oui, c'est une caractéristique d'Eminem, dès le départ, lui, les mots...
00:15:37 - Il l'écrit, ouais, énormément. - Il écrit beaucoup,
00:15:39 il raconte des choses, c'est quelque chose de...
00:15:42 Mais on disait, "Ouais, le petit blanc, lui, tu peux le prendre."
00:15:46 Justement, à cette époque-là, le rap était majoritairement dédié au noir,
00:15:52 on a parlé des Beastie Boys...
00:15:55 - Il y avait quelques Chicanos, genre Sy Precious, etc.
00:15:58 - En fait, dans le milieu underground, il y avait quelques rappeurs blancs,
00:16:01 par contre, c'était presque impossible de percer encore à cette époque-là,
00:16:04 que ce soit à New York, même Los Angeles.
00:16:06 - Quand il y avait Vanilla Ice. - J'allais le dire.
00:16:09 - Merci Vanilla Ice. - Il y a le problème Vanilla Ice,
00:16:14 qui va percer et qui va exterminer toute la...
00:16:17 Tu peux nous parler de Vanilla Ice, je pense que pour les plus jeunes qui nous connaissent,
00:16:22 il est parti, on l'a vu, dans Tortillisia.
00:16:26 - Vanilla Ice, le rappeur le plus populaire de l'année 90 ou 91,
00:16:31 avec un morceau qui s'appelait "Ice Ice Baby", qui n'est pas si nul.
00:16:34 - Non, qui est très sympa. - Et un film, oui,
00:16:38 qui est un peu plus problématique artistiquement.
00:16:41 - Encore une fois, Tortillinja, les amis.
00:16:43 - Et lui, il s'était raconté une vie dans la rue, etc.
00:16:51 Et quand on va découvrir qu'en fait, il vient d'un milieu de classe moyenne,
00:16:55 qu'il n'est pas du tout un voyou, etc., sa crédibilité va exploser,
00:16:59 comme Milli Vanilli, qui était un groupe de la même époque,
00:17:03 où il y avait deux mannequins qui ne chantaient pas,
00:17:06 et quand on a révélé que c'était du playback, pareil, le groupe a explosé.
00:17:10 Milli Vanilli a été oublié.
00:17:12 Le problème, c'est que le délire de Vanilla Ice, lui, n'a pas été oublié.
00:17:18 - Il a discrédité. - Ça a caramélisé toutes les chances
00:17:22 des rappeurs blancs qui voulaient être sérieux dans le rap
00:17:26 et qui n'avaient pas leur niche.
00:17:27 Les Beastie Boys, ils avaient un public un peu particulier.
00:17:30 - Il y avait un public trop rock.
00:17:32 - Mais les rappeurs, les MC blancs, ils n'ont jamais pu se remettre de ça
00:17:38 pendant quasiment une décennie.
00:17:41 - Alors, il faut dire aussi, encore pour un peu de contexte,
00:17:44 c'est qu'à l'époque, il fallait être crédible dans ce que le rap racontait.
00:17:48 C'est différent d'aujourd'hui.
00:17:49 Aujourd'hui, on est sur quelque chose de complètement différent.
00:17:53 Là, tu devais rapper ce que tu vivais.
00:17:56 Donc voilà, bref, compliqué pour Eminem à l'époque,
00:18:00 d'autant plus à Détroit, d'exister en tant que mec qui aime le rap,
00:18:04 qui veut en vivre.
00:18:05 Donc voilà, on s'était laissé à la rencontre avec Proof.
00:18:10 Donc comment ça continue, cette...
00:18:14 - Il y a son histoire privée aussi qui change beaucoup
00:18:17 parce qu'il va rencontrer Kimberly Scott.
00:18:20 - Sa femme. - Sa femme.
00:18:21 - Qui va devenir sa femme.
00:18:22 - C'est en 88, lui, il a 16 ans, elle, elle en a 13, il me semble.
00:18:26 Elle fugue de chez elle et tout pour aller vivre avec eux.
00:18:29 - Ah, 13 ans quand même, ah ouais.
00:18:31 - Du coup, elle fugue pour aller habiter avec les Mathers.
00:18:35 Et bon, ça va être un environnement assez toxique
00:18:40 parce qu'en fait, ils vont tous se disputer les uns les autres,
00:18:43 que ce soit Eminem avec sa mère ou sa mère avec Debbie
00:18:47 ou Debbie avec Eminem.
00:18:48 Et ça va créer un environnement qui est vraiment pas très sain.
00:18:52 Mais encore une fois, ça aussi, ça va être un des trucs
00:18:54 qui va forger son rap et ses textes
00:18:57 parce qu'il va essayer de trouver un échappatoire là-dedans
00:19:00 et parfois même en allant vers la violence,
00:19:03 fictionnelle, mais la violence quand même,
00:19:06 avec des morceaux comme Backstabber, etc.
00:19:08 [Musique]
00:19:29 Et pour revenir après sur sa carrière rap,
00:19:32 du coup, il va signer avec les frères Bass sur FBT.
00:19:37 Et il va sortir "In It", son premier EP.
00:19:41 - "Infinite", ouais.
00:19:42 - Pardon, "Infinite".
00:19:43 - Alors, ça, c'est...
00:19:45 - Il y a un truc qui est intéressant à dire,
00:19:47 c'est qu'il y a une ellipse dans sa vie.
00:19:48 Il y a un truc dont il parle quasiment jamais,
00:19:50 c'est que pendant presque plus de 5 ans,
00:19:53 il va être dans un groupe avec d'autres MC, DJ blancs,
00:19:57 Awaren, Bassmin Production.
00:20:00 Pendant 5 ans, ils vont galérer à essayer
00:20:02 d'être les Beastie Boys de Détroit.
00:20:05 Et cette partie-là de l'histoire...
00:20:07 - Il ne la raconte pas.
00:20:08 - Il ne la raconte quasiment jamais.
00:20:09 Il y a quelques références de temps en temps,
00:20:11 mais par exemple dans "8 Mile",
00:20:13 on a l'impression que sa carrière commence
00:20:16 quand il est avec ses potes noirs
00:20:18 de l'autre côté de la "8 Mile",
00:20:19 côté Détroit, dans les quartiers noirs,
00:20:22 et qu'il fait le battler au Hip Hop Shop, etc.
00:20:28 Mais ça, il est déjà vieux, en fait, quand il fait ça.
00:20:31 Il a plus de 25 ans, ou 24-25 ans,
00:20:37 c'est vachement vieux pour un rappeur.
00:20:39 Il y a des rappeurs qui commencent LL Cool J,
00:20:42 il avait 15-16 ans au début, quand il commence.
00:20:45 Donc il y a ce truc de 5 ans, où il met un couvercle,
00:20:49 il n'en parle jamais, les amis qu'il avait à l'époque,
00:20:53 ils se plaignent après quand il est une super star,
00:20:56 parce qu'il les a complètement oubliés, etc.
00:20:58 Et c'est intéressant parce que Eminem,
00:21:00 c'est quelqu'un qui à la fois utilise sa vie
00:21:03 avec une espèce d'exhibitionnisme dans ses disques,
00:21:06 mais il y a des trucs qu'il ne dit pas.
00:21:08 Et dans les trucs qu'il ne dit pas, il y a ça,
00:21:10 il y a le fait qu'on a l'impression qu'il est ado
00:21:13 quand il fait le Slim Shady, quand il explose,
00:21:17 en réalité il a déjà 10 ans de plus que ses fans,
00:21:22 et cette phase où il a essayé d'être le rappeur blanc
00:21:25 de Détroit, etc. sans y arriver,
00:21:27 il n'en parle pas, et en même temps,
00:21:29 c'est là qu'il va se forger sa technique,
00:21:31 c'est là où il devient le type qui est capable
00:21:35 d'imiter tous les autres rappeurs,
00:21:37 il n'a pas encore de style, il va le trouver après
00:21:39 justement avec Proof, mais il a la technique.
00:21:42 Oui, alors avant Infinite, il y a quand même un petit temps
00:21:46 Il y a les démos,
00:21:48 En fait, entre So Long Tunt, comme tu dis,
00:21:51 des années 94, 95, il fait vraiment tout ce qu'il peut
00:21:55 pour progresser en rave, pour faire des trucs
00:21:57 qui sont vraiment très très très bien,
00:21:59 et il y a aussi des trucs qui sont vraiment très très bien,
00:22:02 et il y a aussi des trucs qui sont vraiment très très bien,
00:22:05 et il y a aussi des trucs qui sont vraiment très très bien,
00:22:08 et il y a aussi des trucs qui sont vraiment très très bien,
00:22:11 donc il y a beaucoup de battles qui sont organisés à Détroit avec Proof.
00:22:14 Au début, il est hué dans les premières battles,
00:22:16 mais après le public l'accepte, malgré le fait qu'il soit blanc,
00:22:19 parce qu'il est fort, et comme on l'a dit,
00:22:21 en "Million Underground", les rappeurs blancs
00:22:23 sont un peu acceptés malgré tout.
00:22:25 Il a une auto-dérision quand même qui pousse au respect,
00:22:29 il va s'auto-moquer de lui-même, de sa condition, etc.
00:22:33 En plus, il va faire des rimes vraiment sales
00:22:38 que la plupart des rappeurs afro-américains ne vont pas oser.
00:22:44 Lui, vu que c'est un white trash et qu'il n'a rien à secouer,
00:22:48 il est déjà plus bacter,
00:22:50 il va y aller vraiment costaud sur tout ça,
00:22:53 et ça va plaire, évidemment.
00:22:55 - Et en 95, il sort son premier album, "Infinite",
00:22:58 qui est un échec commercial.
00:22:59 Donc là, on voit un rappeur technique,
00:23:01 mais qui n'a pas vraiment d'identité, effectivement.
00:23:03 - Oui, il n'a pas encore son style, ce qu'on disait.
00:23:05 Il n'a pas encore...
00:23:06 - Donc ça a été un échec.
00:23:08 Donc là, à partir de là, il fait une tentative de suicide.
00:23:11 - Avec une médicamenteuse, si je ne dis pas de bêtises.
00:23:14 - Exactement, il a injecté...
00:23:15 - Il a une Tylenol, il me semble.
00:23:16 - D'ailleurs, on n'a pas dit qu'en 93, son oncle Ronnie se suicide.
00:23:21 - Oui, c'est un élément important, exactement.
00:23:23 Alors, on parle beaucoup de sa vie,
00:23:25 mais en fait, sa vie et son oeuvre, c'est difficilement dissociable.
00:23:28 On va le voir après.
00:23:29 - La jeunesse d'Eminem, ce n'est que des drames, en fait.
00:23:31 - Oui, c'est ça.
00:23:32 - Après, il a tout...
00:23:33 - Non, mais moi, il me fait relativiser sur ma vie.
00:23:35 Parce que j'ai une jeunesse compliquée, très compliquée,
00:23:38 mais quand je vois la sienne, je me dis...
00:23:39 Finalement, comme quand je regardais "Princesse Sarah".
00:23:42 Moi, ça va.
00:23:43 Ça va.
00:23:44 Et donc, oui, le suicide de son oncle,
00:23:46 encore une fois, il a trois mois de plus que lui.
00:23:48 - C'est très fort.
00:23:50 - Ça va le traumatiser.
00:23:52 - Oui, bien sûr.
00:23:53 - On dit que pendant un moment,
00:23:55 il ne pouvait même plus parler tellement il était...
00:23:58 - Surtout que c'est brutal.
00:23:59 Ça arrive très vite après une rupture de son oncle
00:24:02 avec sa petite amie.
00:24:03 Et bon, voilà, je ne veux pas trop expliciter,
00:24:06 mais c'est un suicide par arme à feu.
00:24:08 Donc...
00:24:09 - Oui, c'est brutal.
00:24:11 - C'est sale.
00:24:12 - C'est sale.
00:24:13 Donc, il va se remettre à rapper.
00:24:15 Encore une fois, il continue sa vie,
00:24:18 c'est-à-dire des petits boulots.
00:24:19 Il enchaîne plein de petits trucs.
00:24:21 - Même s'il va quand même commencer à...
00:24:23 Du coup, il est vraiment fort en battle, etc.
00:24:26 Il va commencer un petit peu à sortir
00:24:28 de plus en plus dans les clubs
00:24:29 pour justement tirer les quelques clopinettes qui restent,
00:24:33 qu'il peut tirer en soirée grâce à ça.
00:24:35 - Puis il va faire des concours aussi
00:24:37 de freestyle assez importants.
00:24:38 Est-ce que c'est là où il va y avoir un basculement
00:24:42 dans la carrière d'Eminem ?
00:24:43 - Oui.
00:24:44 - Oui, il y a deux choses.
00:24:45 Il y a ça, il est fort, donc il gagne.
00:24:49 Et puis, il y a Slim Shady.
00:24:51 - Oui, c'est ça.
00:24:52 - C'est la création du personnage.
00:24:55 Parce que c'est ça qui va lui donner le style.
00:24:57 Slim Shady, c'est son alter ego qui dit n'importe quoi,
00:25:03 qui est ultra violent, etc.
00:25:05 - Son double maléfique.
00:25:06 - Son double maléfique.
00:25:08 Et c'est aussi pour lui, parce qu'il a essayé
00:25:11 d'être un rappeur conscient, d'être le Nas de Détroit,
00:25:14 en blanc, etc.
00:25:15 Donc, beaucoup de handicap par rapport à un objectif pareil.
00:25:19 Et en fait, quand il invente Slim Shady,
00:25:22 il rejoint une tradition musicale du hip-hop
00:25:26 et même de la musique de Détroit très locale,
00:25:29 qui est l'outrance, l'extrême, l'horreurcore,
00:25:34 enfin l'horreur, le mélange entre musique et film d'horreur.
00:25:37 Alors, on a ça dans le rap, notamment chez les deux stars
00:25:41 du rap blanc de Détroit de ces années-là,
00:25:45 les Nsen Clown Posse et, côté noir,
00:25:49 un rappeur qui s'appelle Hesham, qui est très important à Détroit,
00:25:52 parce qu'il invente cette fusion, c'est lui qui a inventé ça.
00:25:56 Il a pris une vieille tradition de Détroit.
00:25:59 Alice Cooper, quand il enregistre ses albums de rock horrifique
00:26:04 dans les années 70, il est à Détroit.
00:26:06 Donc, il y a ce truc-là.
00:26:08 Hesham, il adore le hard rock, c'est à la fin des années 80,
00:26:11 il adore les films d'horreur, il adore choquer, etc.
00:26:15 Et par ailleurs, il est complètement autonome,
00:26:19 c'est le Detroit vs. Everybody dont je parlais tout à l'heure.
00:26:22 Donc, il a son studio dans sa chambre, il produit ses disques,
00:26:26 il fait ses propres cassettes, il va les vendre
00:26:28 et il va se faire un petit follow-up, un petit following là-bas à Détroit.
00:26:34 Tout le monde l'adore, il dit des trucs horribles,
00:26:36 mais tout le monde l'adore, les filles blondes à queue de cheval,
00:26:39 elles vont lui faire signer ses cassettes dans les magasins de disques de Détroit.
00:26:43 Et les rappeurs d'après, ils vont s'inspirer de ça,
00:26:46 les insane clones possies, ils vont inviter Hesham sur leur premier album
00:26:51 et ils vont faire aussi dans l'horreur, etc.
00:26:54 Et quand Eminem, il invente Slim Shady, en fait, il rejoint cette tradition-là.
00:26:58 C'est intéressant de voir que...
00:27:00 - C'est Chucky, quoi. - Ouais, c'est ça.
00:27:02 Et en fait, il baisse le niveau de ses ambitions,
00:27:06 puisque je ne peux pas devenir naze, je vais devenir les insane clones possies.
00:27:10 Ce qui est marrant, c'est qu'en faisant, en baissant ses ambitions,
00:27:16 en fait, il va monter jusqu'au zénith, à un niveau où on n'a jamais vu un rappeur avant lui,
00:27:22 d'aucune sorte. C'est ça qui est intéressant dans le...
00:27:26 Alors Slim Shady, il le créait avant les Rap Olympics de 1997.
00:27:31 En fait, c'est venu de deux éléments, effectivement, l'échec d'Infinite,
00:27:35 il se remet en question, c'était trop consensuel,
00:27:38 et puis il a dit "OK, les gens aiment pas le positif, je vais mettre à raper des trucs de malades".
00:27:43 Et il y a Proof également qui voulait monter un band, un crew,
00:27:47 avec 12 rappeurs, c'est pour ça que ça s'appelait D12 par la suite.
00:27:50 - Voilà, on n'a pas parlé D12, on peut en parler maintenant.
00:27:52 - C'est ça, et donc, sauf qu'ils se sont retrouvés cassis,
00:27:54 ils n'arrivaient pas à trouver d'autres rappeurs,
00:27:56 donc Proof a dit "Pourquoi pas, on va faire des alter-ego".
00:27:59 Et donc là, Eminem était sur les toilettes précisément
00:28:02 quand il a inventé son pseudo Slim Shady.
00:28:05 Et donc là, à partir de son nom, en fait,
00:28:08 plein de rimes lui sont venues en tête, mais des rimes du coup un peu maléfiques.
00:28:12 Là, il y a eu un basculement, effectivement,
00:28:14 et du coup, ça s'est retrouvé dans ses freestyles, dans ses battles par la suite,
00:28:18 où il a été beaucoup plus trash, beaucoup plus choquant, et ça plaisait au public.
00:28:21 - Donc là, on est environ 96, c'est ça ?
00:28:23 - 96, juste après Infinite.
00:28:26 - Voilà, donc création de son alter-ego maléfique.
00:28:29 Et puis, il va commencer à se faire repérer, en fait.
00:28:32 C'est à ce moment-là, Rap Olympix.
00:28:35 - C'est au Rap Olympix, justement, où il finit 2e, juste derrière Overboys,
00:28:38 si je dis pas de bêtises.
00:28:40 - On peut expliquer ce que c'est, les Rap Olympix ?
00:28:42 - C'est un concours des meilleurs rappeurs du coin.
00:28:45 Bon, c'est pas non plus le premier peignot qui peut venir.
00:28:48 C'est déjà des mecs qui ont des réputations et qui viennent de se friter.
00:28:52 Il y a plusieurs grands noms qui vont sortir de ce Rap Olympix 97.
00:28:56 Mais surtout, ce qui est important, c'est qu'il y a un stagiaire dans la salle de Interscope.
00:29:00 Et en fait, c'est le 2e.
00:29:03 Peut-être que le patron, le Big Boss, il aura peut-être une oreille un peu plus musicale.
00:29:07 Et en fait, il va demander la cassette de Slim Shady, "A Pied", que je ne me trompe pas.
00:29:17 - Et là, tu me fais une transition magnifique.
00:29:21 C'est Jimmy Lovine, Dr. Dre, la rencontre.
00:29:26 - May I have your attention please ?
00:29:29 Will the real Slim Shady please stand up ?
00:29:31 - Ben oui, parce que ça, c'est un événement majeur.
00:29:33 Donc il y a évidemment la création de son alter ego, Slim Shady.
00:29:36 Et là, on parlait d'Interscope.
00:29:38 Gros, gros label incroyable.
00:29:41 Donc, il y a dans ce label une personne très influente.
00:29:47 Allez-y, racontez-nous un petit peu.
00:29:50 - Très influente, mais c'est du coup 97, 98.
00:29:53 - Ah oui.
00:29:55 - Dr. Dre, il est quand même un petit peu...
00:29:57 - Il y a Dr. Dre et Lovine.
00:29:59 - Oui, voilà, les deux.
00:30:01 Dr. Dre, il est quand même un petit peu en perte de vitesse.
00:30:04 C'est juste après Aftermath.
00:30:07 - Il y a un album qu'on attend qui ne vient jamais aussi déjà.
00:30:10 - Déjà.
00:30:11 - Déjà.
00:30:12 - Oui, et puis il y a la création de son label.
00:30:13 Donc, avec Jimmy Lovine, ils ont créé Aftermath sur Interscope.
00:30:16 Et Dr. Dre, pour lancer le label, a sorti une compilation, voire deux, je crois, qui n'ont pas marché.
00:30:22 Donc, Dr. Dre était vraiment en perte de vitesse aussi, plus inspiré, il ne savait plus avec qui travailler.
00:30:26 - Alors qu'on rappelle à Dr. Dre, déjà à l'époque, c'était N.W.A.
00:30:31 - C'était déjà, ouais.
00:30:32 - Et plein de choses en prod incroyables, etc.
00:30:34 - Plus il avait des affaires judiciaires.
00:30:37 - Oui, effectivement.
00:30:39 - Et donc, effectivement, le stagiaire a récupéré la cassette Slim Shady Epic, il l'a donnée à Jimmy Lovine.
00:30:44 Jimmy Lovine l'a stockée dans son garage pendant des mois.
00:30:47 Et ça a pris plusieurs mois, du coup.
00:30:49 Et après, ça est arrivé à l'origine de Dr. Dre.
00:30:51 - Parce qu'il y a plusieurs versions.
00:30:53 - C'est Jimmy Lovine qui dit tout simplement à Dr. Dre, il faut que je te fasse écouter un mec.
00:30:57 Donc là, c'était plusieurs mois après avoir récupéré la cassette.
00:31:00 Et Dr. Dre écoute ça.
00:31:02 Il écoute le premier morceau, il dit remets-le.
00:31:04 Et après, il dit, OK, amène-moi ce gars tout de suite.
00:31:07 Et c'est la première fois que Dr. Dre trouve un artiste via une simple démo, une cassette.
00:31:13 - Et surtout, c'est un artiste qui n'est pas de Los Angeles, qui n'est pas de la côte ouest.
00:31:17 - Et à ce moment-là, Dre ne savait pas qu'il était blanc, en plus, Eminem.
00:31:20 - Voilà. Mais ce qui l'interpellait, c'était...
00:31:23 - Le débit, la technique.
00:31:26 - Qu'il allait super loin, en fait.
00:31:29 - Et là, j'ai compris. On est dans un truc...
00:31:32 Dans les films, il y a le moment où le héros, vers les trois quarts du film,
00:31:37 rien ne marche, il s'assied sur une chaise, il dit, ça y est, c'est fini pour moi.
00:31:41 C'est exactement ça. C'est la chanson "Rock Bottom" d'Eminem qu'il écrit à ce moment-là,
00:31:46 parce qu'il était deuxième des Rap Olympiques.
00:31:48 C'est la place du con, parce qu'il ne va pas toucher la Rolex et les 500 dollars de la récompense.
00:31:54 Il revient, en fait, le type chez qui ils étaient plus ou moins en sous-location,
00:31:59 il n'avait pas payé les loyers, alors qu'il s'est barré avec l'argent.
00:32:03 Il n'a plus de maison.
00:32:05 - Sachant qu'il a un enfant.
00:32:06 - Il a un enfant, il ne peut même pas lui acheter un cadeau de Noël.
00:32:09 Donc c'est vraiment le bout de la déchéance.
00:32:14 Et à ce moment-là, Dr Dre, qui reste quand même un des producteurs les plus respectés du game,
00:32:20 lui dit, tu viens à Los Angeles, je vais t'enregistrer.
00:32:24 Et là, le truc s'inverse complètement et dans une parabole de folie.
00:32:34 C'est la carrière d'Eminem entre ce moment-là, 97, où il est au fond du trou,
00:32:39 et 2000, au moment où il va sortir "Marshall Mathers".
00:32:44 On n'a jamais vu ça.
00:32:45 On n'a jamais vu ça depuis probablement les Beatles ou Elvis Presley.
00:32:50 En termes de "je n'étais rien, je deviens tout" aux États-Unis en quelques mois.
00:32:58 - Mais comment ça se passe ?
00:32:59 Là, donc, il y a une rencontre entre Dre et Eminem.
00:33:05 Il arrive au rendez-vous dans une tenue jaune poussin,
00:33:09 qu'il portait depuis une semaine.
00:33:11 Il raconte dans une interview...
00:33:12 - En fait, elle était blanche à la base, c'est ça ?
00:33:14 - Ou à la tourner au vert, tu vois, comme il dit.
00:33:17 Mais ça va matcher.
00:33:20 Il va y avoir ce fameux moment où il va commencer à faire le "My name is what, my name is who".
00:33:27 Et Dr Dre, avec tout le talent qu'il connaît, il a fait péter Snoop Dogg juste avant.
00:33:31 Il a l'oreille et il sait de suite que, OK, c'est bon.
00:33:35 En fait, il manquait juste mes prods.
00:33:37 Et c'est comme ça qu'il va commencer à l'accompagner.
00:33:40 - Et cette rumeur comme quoi, quand il l'a vu, il était choqué qu'il soit blanc, c'est vrai ?
00:33:44 - Oui, c'est vrai.
00:33:46 Il était un peu choqué, mais lui, il s'en fichait un peu,
00:33:49 parce que le talent était évident d'Eminem.
00:33:51 Par contre, déjà, en centre du label, on a essayé de le dissuader de signer Eminem,
00:33:55 parce qu'il était blanc et on ne pouvait pas signer un rappeur blanc en major à l'époque.
00:33:59 D'ailleurs, quand on regarde la façon dont ils ont imaginé le marketer au début,
00:34:04 personne ne croyait qu'il allait pouvoir percer sur le marché du rap,
00:34:12 qui était dominé à l'époque par Puff Daddy, il y avait encore...
00:34:16 - La digue du musique. - Voilà, tout ça.
00:34:19 Donc, on va le marketer comme une version white trash et hip-hop de Marlene Monson.
00:34:26 C'est l'époque où le grand Satan de la musique américaine, c'est Marlene Monson.
00:34:32 Donc, il y a de l'argent à se faire dans la musique qui choque.
00:34:35 On a là un gamin blanc qui rappe du feu de Dieu et qui dit des trucs horribles.
00:34:40 On va en faire une version un peu moins bas de gamme des Insane Clone Possey
00:34:48 et on va viser le public blanc qui adore ce genre de musique transgressive.
00:34:55 Il y a Mark Ryder, c'est dans le rock, dans le metal, qui va faire pareil.
00:34:58 Donc, à la base, ils veulent marketer Eminem, un rappeur blanc, pour les blancs.
00:35:03 Pour les blancs, parce qu'ils se disent que c'est là qu'est le marché.
00:35:07 Il y a des références d'ailleurs dans "My Name Is", le premier vers,
00:35:10 il fait une référence à Nine Inch Nails.
00:35:12 C'est un clin d'œil à un des artistes de cette scène entre électro, rap et horror.
00:35:23 Et en fait, ils vont s'apercevoir qu'Eminem, c'est bien plus que ça.
00:35:28 Eux, mais aussi le reste du rap, et dans l'espèce de cavalcade de ces années-là,
00:35:35 il va démontrer qu'il est bien plus qu'un gimmick,
00:35:38 bien plus que l'autre rappeur de Détroit qui explose au même moment, Kid Rock,
00:35:44 qui fait une chanson gigantesque qui s'appelle "Bat Ouidaba",
00:35:48 qui est un mélange entre le rock sudiste et le hip-hop des débuts.
00:35:54 Dans le clip, il y a des motos qui volent, lui, il a un manteau de fourrure, etc.
00:35:59 Donc on est vraiment dans l'esthétique trash, etc.
00:36:02 Mais Kid Rock, c'est pas beaucoup plus que ça.
00:36:04 Alors que Eminem, c'est beaucoup plus que ça.
00:36:06 Et ça, on le voit pas tout de suite en 99, parce que les clips sont marrants.
00:36:11 Lui, il joue aussi, on a l'impression qu'il a 15 ans, en fait, quand on regarde.
00:36:18 - Bien sûr, on voit déjà sa teinture.
00:36:20 - Tout le monde a l'impression que c'est un gamin,
00:36:22 et des gamins comme ça, il y en a régulièrement dans les hip-hop.
00:36:25 Et en fait, il va montrer qu'il a du fond, qu'il est un artiste.
00:36:31 Il n'est pas juste un gimmick, il est un artiste.
00:36:34 - Alors ça, le côté artiste, ce qu'il est, son premier album, il y a aussi du fond dessus.
00:36:40 - Le CD "Meshaï DjLP", du coup.
00:36:43 - Enfin, pas le premier album, mais le premier album avec sa nouvelle mise en disque.
00:36:49 Là, c'est un succès de malade, dès le début.
00:36:55 - C'est le troisième album le plus vendu de l'année aux États-Unis.
00:36:58 Donc directement, il passe dans une autre dimension.
00:37:00 Pour l'anecdote, aussi, ce qui est marrant, c'est que le symbole de ses cheveux blonds platines,
00:37:04 ça a été fait par hasard.
00:37:05 Et là aussi, ça a bien participé au marketing.
00:37:08 En fait, il a fait une soirée avec Roy, il a pris des champignons, il s'est décoloré les cheveux.
00:37:13 Et le lendemain, il s'est pointé avec un t-shirt blanc et des cheveux blonds auprès de Dre.
00:37:17 Et Dre a pété un câble en mode "Putain, là, c'est notre image, là, c'est parfait".
00:37:21 - C'est un symbole.
00:37:22 - C'est bien très marrant.
00:37:24 Et au final, c'est resté toute sa carrière.
00:37:26 Même maintenant, Eminem, on l'associe à ses cheveux blonds.
00:37:29 Mais effectivement, dans l'album, on découvre un personnage
00:37:32 qui devient mainstream d'un coup, effectivement.
00:37:35 C'est ça qui est assez fou, c'est que Slim Shady devient mainstream
00:37:40 alors que c'est tout l'inverse, en fait, dans ce qui se dit à l'intérieur.
00:37:45 - Oui, c'est vrai qu'on est sur des paroles très trash.
00:37:48 - Mais ça me plaît quand même.
00:37:50 - Mais nous, c'était matraqué à la radio...
00:37:53 Ah si !
00:37:54 - Oui, oui !
00:37:55 - Ah oui, là, je crois que tu le donnes.
00:37:56 C'était matraqué à la radio.
00:37:58 - C'était "My name is" déjà ?
00:37:59 - Ah non, "My name is" à la radio !
00:38:01 - J'ai des souvenirs, en revanche.
00:38:02 - Ah oui, oui !
00:38:03 "My name is", c'était...
00:38:04 Moi, j'ai connu Eminem avec "My name is", c'était à la radio.
00:38:07 - Il y a aussi un autre phénomène qui se passe en même temps,
00:38:09 c'est l'arrivée de Napster, qui va faire que les jeunes
00:38:13 qui ont un ordinateur vont pouvoir de plus en plus télécharger de la musique.
00:38:16 - Alors moi, à cette époque-là, j'avais pas Internet.
00:38:18 Je connaissais même pas Internet.
00:38:20 - J'avais un Well, et ça m'était 20 ans pour télécharger de la musique,
00:38:24 mais je pouvais en télécharger, et je me rappelle que le premier album
00:38:27 que j'ai téléchargé de ma vie, il y en a deux,
00:38:30 je les avais téléchargés sur la même semaine,
00:38:32 "The Earthbrings Americana", qui est aussi des White Trash,
00:38:35 mais dans le côté rock californien, etc.
00:38:37 Et du coup, "The Marshall Motors LP", parce que j'avais vu juste la cover,
00:38:41 donc tu vois un mec sur un pont avec un cadavre qui sort du coffre d'une voiture.
00:38:47 - Du coffre d'une voiture !
00:38:48 - Et rien que cette image, j'étais...
00:38:50 Mais je veux écouter ça, qu'est-ce que c'est, quoi ?
00:38:53 Rien que l'image...
00:38:55 - Mais tu vois, j'avais pas le parallèle avec l'émergence d'Internet
00:38:57 et les débuts du téléchargement.
00:38:59 Ça a été une incidence aux États-Unis, ou ça a participé d'une certaine manière ?
00:39:04 - Surtout le deuxième album, "Marshall Motors LP",
00:39:06 parce que là, on arrive, Eminem devient une star,
00:39:09 il enchaîne directement avec "Marshall Motors LP".
00:39:11 Donc là, entre-temps, les critiques sont "à qu'apparaît le cas Eminem",
00:39:15 "c'est le diable en personne", etc.
00:39:17 Donc lui, il s'est dit "OK, je vais être encore plus dégueulasse
00:39:20 que j'ai pu l'être avant".
00:39:22 Anecdote marrante, il y a un journaliste qui a témoigné en 2015,
00:39:25 qui a fait un article, il a dit le jour de la sortie de "Marshall Motors LP",
00:39:28 le lycée était désert, tout le monde est allé acheter l'album.
00:39:31 Et avec Napster, du coup, les lycéens sont revenus le lendemain
00:39:35 et ils vendaient l'album directement au lycée, des copies piratées.
00:39:39 Donc l'émergence de Napster en 2000.
00:39:43 - Parce que "My name is", c'est avant.
00:39:46 - Oui, 1999.
00:39:48 - C'est effectivement printemps 1999.
00:39:50 Entre les deux, il y a deux morceaux hyper importants
00:39:53 qui vont imposer, en fait, Eminem sur la scène rap,
00:39:56 c'est les deux morceaux qui donnent aux chroniques de 2001 de Dr Dre.
00:40:01 "Forgot about Dre".
00:40:03 "What's the difference".
00:40:18 "What's the difference".
00:40:19 Là, il est dans l'album du retour de Dr Dre.
00:40:32 - C'est quel album ?
00:40:34 - Un album monstrueux, avec en plus, c'est là où on voit...
00:40:39 - Des stars partout.
00:40:40 - Des stars partout, les vieux de la vieille
00:40:42 qui reprennent leur rime du premier "The Chronique",
00:40:45 "The Next Episode" et tout ça.
00:40:47 Un nouveau son qui surprend,
00:40:50 mais qui montre que Dr Dre sait se réinventer.
00:40:52 Il avait essayé à l'époque d'Aftermath, ça n'avait pas marché.
00:40:55 Là, il y arrive, il a trouvé son truc
00:40:57 avec ses rythmiques digitales, etc.
00:40:59 Et le meilleur MC de l'album, sans conteste, c'est Eminem.
00:41:04 Et c'est Eminem, en plus, qui se moque de Dr Dre.
00:41:10 Il faut voir que Dr Dre, c'est un ancien N.W.A.,
00:41:13 donc le groupe le plus dangereux d'Amérique, entre guillemets.
00:41:15 C'était comme ça qu'il se vendait à l'époque, dix ans plus tôt.
00:41:18 C'est lui qui a fait le "California Love" de Tupac.
00:41:24 C'est lui qui a lancé Snoop.
00:41:26 C'est une légende hyper respectée.
00:41:28 Et il y a ce petit Blambec qui, en gros, se moque de lui,
00:41:33 le traite de ringard, de baltringue, etc.
00:41:37 L'autre se laisse faire.
00:41:38 Eminem le fait avec une espèce de furie
00:41:41 dans la manière qu'il a de le faire,
00:41:43 ce qui fait que l'album est plutôt cool.
00:41:46 On l'écoute avec le bras sorti sur la porte.
00:41:49 Quand Eminem arrive, tout à coup, on a l'impression
00:41:52 que le contenu d'une armoire nous tombe sur la tête.
00:41:54 Il sort du lot et là, il s'impose vraiment sur la scène rap
00:42:00 comme un rappeur avec qui il faut compter,
00:42:03 avec qui Jay-Z peut compter,
00:42:05 avec qui ses modèles, Kool G Rap, etc.
00:42:08 - Mais c'est pas là le génie de Dr Dre.
00:42:10 C'est-à-dire qu'il sort son album, il a dit
00:42:12 "Je vais le valider auprès des plus grands
00:42:16 avec cet album-là".
00:42:17 - Exactement.
00:42:18 Dr Dre, il a deux génies.
00:42:21 Le génie de la production, le génie de la découverte
00:42:24 et du lancement.
00:42:25 Puisque après, il va lancer 50 Cent,
00:42:27 il sera aussi un bout dans la carrière de Kendrick Lamar
00:42:30 et il fait effectivement ça.
00:42:31 Et il donne aussi des productions pour les albums d'Eminem.
00:42:38 Il le valide, effectivement, il lui donne sa carte
00:42:41 et ensuite, il va démontrer que dans le rap,
00:42:44 pendant ces années-là, la 2000-2001,
00:42:47 il n'est pas loin d'être le meilleur.
00:42:49 - Je pense qu'il y a eu du donnant-donnant
00:42:51 parce que c'est vrai qu'on dit "Dr Dre a sauvé Eminem"
00:42:53 et Eminem a aussi sauvé Dr Dre.
00:42:55 Pas sûr que l'album soit sorti si Eminem n'était pas arrivé.
00:42:58 - Oui, parce que financièrement.
00:43:00 Parce que chez Interscope, c'était très compliqué.
00:43:02 C'était extrêmement compliqué.
00:43:04 - Déjà financièrement et puis créativement parlant,
00:43:06 Dre était dans un bout de souffle.
00:43:09 - C'est le sonarité d'un nouveau poulet.
00:43:10 En plus, il est tellement fort, il arrache tellement tout
00:43:13 qu'évidemment, il y a une émulsion créative qui se fait.
00:43:16 - Alors là, les critiques, qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ?
00:43:19 Puisqu'on disait à la base, le label voulait le marketer
00:43:23 comme un rappeur uniquement pour les Blancs, voilà, machin.
00:43:27 Et on s'aperçoit que le mec, en fait, c'est un génie, véritablement.
00:43:30 C'est un des meilleurs rappeurs déjà à ce moment-là qui s'affirme
00:43:34 avec de la forme complètement différente,
00:43:37 mais aussi avec un fond incroyable.
00:43:39 Comment c'est perçu ?
00:43:41 - En fait, c'est devenu un cas national.
00:43:43 Il y a une anecdote marrante, c'est que la femme du vice-président
00:43:47 des États-Unis a évoqué le cas d'Eminem au Congrès.
00:43:50 Elle voulait créer une loi pour limiter l'achat,
00:43:53 mettre un seuil d'âge pour acheter les CD à cause d'Eminem.
00:43:56 - Alors, c'est là où on revient à Eastie,
00:44:00 il y a eu le même problème à l'époque.
00:44:03 - Et Prince en 1984, pour Darlene Nicki, c'est pareil, c'est la même.
00:44:08 C'est celle qu'on a appelée les femmes de Washington.
00:44:11 Il y avait Lynn Cheney, la femme de Dick Cheney,
00:44:13 il y avait Tipper Gore, la femme de Al Gore et quelques autres.
00:44:17 Et effectivement, en 2000, il y a cette audition au Congrès des États-Unis
00:44:23 où elle va prendre les paroles du Marshall Mathers LP
00:44:28 en disant "mais c'est insupportable,
00:44:30 comment on peut laisser nos enfants écouter cette musique ?"
00:44:33 Et de fait, c'est insupportable,
00:44:36 parce que sur le Marshall Mathers LP, il va encore plus loin dans le thrash,
00:44:40 il fait ce morceau qui est un monument d'abjection sonore qui s'appelle "Kim".
00:44:46 [Musique]
00:44:59 Et c'est ça qui est intéressant,
00:45:01 et c'est ça que les gens qui ne connaissent pas le rap ne comprennent pas,
00:45:05 c'est qu'il fait à la fois le type qui bat sa femme
00:45:08 et qui gueule dessus, qui tape dessus,
00:45:11 et il fait la femme qui lui répond, et donc il joue les deux personnages.
00:45:14 - C'est du storytelling.
00:45:15 - Voilà, il raconte une histoire.
00:45:18 Quand un romancier fait ça dans son roman,
00:45:20 y compris quand il parle à la première personne
00:45:22 en se mettant dans la peau d'un mari qui bat sa femme,
00:45:25 on ne va pas lui dire spontanément "mais c'est votre vie".
00:45:28 Alors que Eminem fait ça dans une chanson,
00:45:31 mais parce qu'on n'accorde pas le crédit aux artistes
00:45:34 et encore moins aux rappeurs de connaître le second degré,
00:45:38 d'être capable de faire la différence entre le narrateur et l'auteur,
00:45:42 enfin ou la personne, on ne leur fait pas ce crédit-là.
00:45:45 On imagine un, que eux sont littéraux quand ils font,
00:45:49 quand ils disent, enfin que tout ce qu'ils disent dans leur chanson…
00:45:51 - Premier degré.
00:45:52 - Premier degré, et deux, que le public ne va pas comprendre.
00:45:56 Après, ça n'enlève pas les problèmes, y compris moraux,
00:45:59 qu'on peut trouver à une chanson comme "Kim",
00:46:02 mais ce qui est intéressant, c'est que Eminem, il fait ça
00:46:05 alors qu'il s'est fait basher sur le Slim Shady LP.
00:46:08 Il y a l'éditorial du Billboard,
00:46:11 Billboard c'est le magazine professionnel de la musique.
00:46:13 Tous les gens dans la musique lisent Billboard.
00:46:15 Quand l'album sort, au mois d'avril 99,
00:46:19 c'est le début de la carrière d'Eminem,
00:46:21 l'éditorialiste de Billboard, il fait un éditorial en disant,
00:46:25 il y a deux petites filles qui viennent de se faire violer à Los Angeles,
00:46:28 c'est la faute d'Eminem.
00:46:29 C'est quasiment ça qu'il explique, donc ça va très très loin.
00:46:33 Et il dit, c'est la chose la plus ignoble
00:46:35 que l'Amérique ait produite depuis l'esclavage.
00:46:38 Il faut imaginer le degré de panique morale qu'il y a en 99.
00:46:43 - Il y a des plateaux télé, il y a des débats
00:46:45 où on dit que c'est les paroles les plus horribles
00:46:48 qui aient jamais été prononcées.
00:46:50 - Et Eminem, il reçoit toutes ces critiques-là,
00:46:52 qu'est-ce qu'il fait ? Il ne va pas se calmer.
00:46:55 - Il fait pire.
00:46:56 - Il fait pire sur son meilleur album.
00:46:58 C'est ça qui fait que c'est un artiste qui sort de l'ordinaire,
00:47:03 c'est qu'il fait pire et il réussit en faisant pire
00:47:06 à faire un meilleur album bien plus profond
00:47:08 que ses provocations de 99.
00:47:11 - C'est la particularité aussi d'Eminem,
00:47:13 c'est qu'il ne va jamais se justifier en fait.
00:47:16 - Je ne sais pas, Baptiste...
00:47:18 - Après, sur Kim, pour essayer de mesurer les choses,
00:47:25 le nom de la traque, c'est le nom de sa femme,
00:47:29 qui est la mère de sa fille quand même,
00:47:31 et il va y avoir cette anecdote qui est assez malheureuse
00:47:34 où sur la tournée The Up in the Smoke Tour,
00:47:37 où il va y être aux côtés de Xzibit, Ice Cube, Snoop Dogg,
00:47:41 tout le Dogg Pound, etc., la West Side Connection,
00:47:44 il va y avoir une date à Détroit où il va jouer le morceau Kim,
00:47:49 où il va s'amuser à taper sur une popée gonflable
00:47:53 avec des cheveux blonds, et Kim va péter un plomb
00:47:57 et elle va rentrer chez elle et se tailler les veines directement.
00:48:01 Heureusement, en appelant la police, elle n'en est pas décédée,
00:48:04 et c'est ce qui va amener aussi à une séparation,
00:48:09 un divorce, etc., et plein d'autres problèmes.
00:48:12 Mais je tenais à quand même préciser ça,
00:48:15 même si c'est fictionnel et qu'on peut tout à fait excuser la chanson
00:48:19 et que la chanson, elle est utile en soi.
00:48:22 - Il y a eu un effet sur la première personne concernée.
00:48:26 - Après, pour dire sur Eminem et la relation avec Kim,
00:48:31 je crois que c'est sa mère qui dit que de toute façon,
00:48:33 il n'a jamais vu taper Kim ou quoi,
00:48:35 dès qu'il y avait une dispute, il sortait plutôt cabosser sa voiture.
00:48:38 D'ailleurs, sa voiture, c'était totalement une épave
00:48:41 et il mettait des coups de poing dedans.
00:48:43 Mais bon, il y avait de la violence, il y avait vraiment beaucoup de toxicité, etc.
00:48:47 - Oui, des deux côtés, c'est ce qui se dit, en tout cas.
00:48:50 - Après, il y a une asymétrie.
00:48:52 Lui, il est une superstar, il peut faire ce qu'il veut dans ses albums.
00:48:56 Elle, c'est une femme, elle n'a pas de ressources autres que son petit boulot, etc.
00:49:02 Donc, il y a un problème dans cette chanson
00:49:04 et il y a un problème dans l'attitude d'Eminem.
00:49:07 Lui, il le sait, effectivement, il n'y a pas de traces
00:49:14 qu'il ait battu sa femme en vrai,
00:49:17 mais ça ne fait pas disparaître le problème moral.
00:49:19 Et le fait qu'il y ait un problème moral
00:49:21 ne diminue pas la force de l'artiste, ça le rend plus complexe.
00:49:29 Ça fait que quand on l'aime, on ne peut pas l'aimer absolument parce qu'il y a ça.
00:49:34 Et en même temps, ça fait réfléchir aussi sur c'est quoi les limites de la création,
00:49:39 qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on ne peut pas faire,
00:49:41 est-ce qu'on a le droit de blesser ses proches,
00:49:44 parce qu'il ne l'a pas blessé physiquement, mais il l'a blessé moralement.
00:49:47 - Moralement, bien sûr, pareil avec sa mère.
00:49:49 - Voilà, il fait pareil avec sa mère.
00:49:50 Il a un côté irresponsable qui est évident
00:49:54 et qui est complètement intriqué dans son art,
00:49:57 parce qu'on n'en a pas encore parlé,
00:49:59 mais son art, c'est un petit théâtre avec des personnages,
00:50:02 sa mère, sa copine, son manager, Ken Caniff, l'homosexuel du Connecticut,
00:50:08 parce qu'il a aussi un fonds à cette époque-là homophobe, dont il joue.
00:50:13 - C'est intéressant aussi d'en parler, on ne va pas rester non plus trop longtemps
00:50:16 parce qu'on n'a déjà plus beaucoup de temps sur les polémiques,
00:50:19 mais on l'a accusé d'homophobie, c'est important de revenir dessus
00:50:26 parce que pour conjurer ces accusations, on l'a dit,
00:50:31 il ne s'excuse pas, il ne s'explique pas.
00:50:34 Qu'est-ce qu'il fait ?
00:50:35 - Il va faire un grand feat en live avec Elton John,
00:50:37 qui est l'une des icônes gays les plus populaires.
00:50:40 - Il invite Elton John sur scène, c'était aux Grammys,
00:50:46 il joue Stan, il me semble, sur scène.
00:50:50 Et alors là, aux États-Unis, tout le monde va se dire
00:50:54 "Bah voilà, Eminem n'est pas homophobe", etc.
00:50:57 Sauf que juste après, on lui dit "Effectivement, vous n'êtes pas homophobe,
00:51:02 vous avez invité..."
00:51:04 Et là, il dit "Ah, parce que Elton John est gay ?"
00:51:08 C'est ça en gros.
00:51:10 Et là, il y a un retour de flamme alors qu'il sait très bien...
00:51:15 - Eminem, c'est un troll.
00:51:17 C'est ça qu'il faut comprendre.
00:51:19 C'est lui qui a inventé le trolling.
00:51:21 Alors, il y en a d'autres qui le faisaient,
00:51:23 mais il est vraiment dans l'attitude du troll,
00:51:25 c'est-à-dire qu'on ne sait jamais s'il est premier degré, deuxième degré.
00:51:29 Quand il arrive à se dédouaner en disant "c'est de l'ironie",
00:51:31 il va quand même faire la vanne qui fait qu'on n'est pas trop sûr.
00:51:35 Quand il apparaît, il apparaît de façon contemporaine avec South Park.
00:51:42 Et d'ailleurs, il cite South Park dans une chanson de Marshall Mathers LP.
00:51:46 Et donc, il y a cette culture-là.
00:51:49 Ce qui est frappant, c'est que la culture du troll,
00:51:53 20 ans après, c'est Donald Trump qui va l'utiliser.
00:51:57 Eminem est très contre Donald Trump.
00:52:00 - Avec Kid Rock comme soutien, en plus.
00:52:02 - Avec Kid Rock côté Donald Trump.
00:52:05 Et donc, il y a une forme d'ironie dans la carrière d'Eminem
00:52:09 parce qu'il crée un personnage, une manière d'être,
00:52:12 une manière de foutre le bordel,
00:52:14 qui va être repris par des gens qui le désapprouvent,
00:52:17 parce que c'est quelqu'un quand même qui a une certaine...
00:52:21 Enfin, il n'a pas tellement changé dans sa manière de voir, dans sa conduite.
00:52:27 Il se tient plutôt, mais il a créé un monstre
00:52:31 qu'il a été lui-même pendant quelques temps.
00:52:33 Et ensuite, il s'est échappé, ce monstre-là.
00:52:37 L'Amérique d'aujourd'hui, c'est l'Amérique des trolls.
00:52:40 Ceux qui sont allés au Capitol, il y a une phrase,
00:52:44 je crois que c'est dans White America,
00:52:46 où il parle des marches du Capitol, 20 ans avant l'assaut du Capitol.
00:52:50 Et donc, il y a des trucs qui sont pressiants de l'Amérique de Trump.
00:52:56 L'Amérique des blancs, white trash, qui se sentent en marge du pays.
00:53:02 Il a su trouver ça, et après, le monstre lui a échappé.
00:53:06 - Oui, parce qu'il a su parler justement à cette Amérique dans le rap
00:53:09 qui n'était pas représentée auparavant.
00:53:11 Il a su parler à eux, mais à tout le monde en fait.
00:53:15 Et c'est une des particularités d'Eminem.
00:53:17 C'est-à-dire que, de par le fond et la forme, on l'a dit,
00:53:21 c'est des choses très dures, très crues, etc.
00:53:23 que nous, on ne recevait pas de la même manière en France à l'époque.
00:53:25 Parce que moi, quand j'écoutais Eminem, "My name is",
00:53:27 - Oui, on ne comprend pas.
00:53:29 - Franchement, pourtant, j'étais au lycée,
00:53:31 mais je n'analysais pas les paroles à l'époque.
00:53:33 Chose qu'on fait beaucoup plus aujourd'hui.
00:53:35 - C'était une chanson marrante.
00:53:36 - C'était une chanson marrante, véritablement.
00:53:38 Le clip, etc., ce n'était même pas sérieux pour nous.
00:53:42 Mais il a su parler, capitaliser avec le fond et la forme,
00:53:45 à toutes ces personnes, et je suis d'accord,
00:53:47 ça va échapper un petit peu.
00:53:49 Après, plus personne ne va se sentir écouté ou représenté, peut-être.
00:53:54 - Il y a le morceau "Stan", qui est quand même bien représentatif
00:53:57 de tout ce que vous rencontrez.
00:53:59 - Alors, il est extrêmement important, le morceau "Stan".
00:54:02 - Parce qu'il va, justement, sortir d'un rôle pour dire "attention".
00:54:26 - Pour moi, c'est le seul morceau, à ce moment-là,
00:54:29 où on entend Marsha Mattress.
00:54:31 Même pas Eminem, même pas Slim Shady,
00:54:33 Marsha Mattress, qui répond à un de ses fans,
00:54:36 qui est complètement allumé,
00:54:38 qui prend tous ses textes, comme Kim, d'ailleurs,
00:54:41 au premier degré.
00:54:43 Et c'est du storytelling, mais tellement bien fait,
00:54:45 parce que, justement, tu arrives à capter
00:54:47 toutes les nuances de personnages et de rapports de pouvoir,
00:54:51 même, qui se passent entre les deux.
00:54:53 Lui, il ne peut pas contrôler ses fans.
00:54:55 Donc, si demain, il y en a un qui écoute "Stan",
00:54:57 qui le prend au premier degré, qui va vraiment tuer sa femme
00:54:59 et qui dit que c'est la faute d'Eminem,
00:55:01 malheureusement, il n'aurait pu rien faire,
00:55:04 de toute façon, à cette situation.
00:55:06 - Mais c'est là la force de Marsha Mattress IP, effectivement.
00:55:09 C'est qu'il parle, déjà aux ados, c'est son premier public,
00:55:12 il y a le côté rebelle, etc., qui l'attire.
00:55:14 Il parle aux parents, quand il dit "OK, moi, je dis des horreurs,
00:55:18 mais est-ce que je suis coupable de la fusillade à Columbine ?
00:55:21 Si moi-même, je pense tout ça et que je le fais pas,
00:55:23 peut-être que le problème, il ne vient pas de moi,
00:55:25 mais de votre éducation.
00:55:26 Pourquoi est-ce que, quand je vais au cinéma,
00:55:28 je vais regarder un film d'action,
00:55:29 il y a des gamins de 12 ans qui sont tout seuls ?
00:55:31 Donc, ça remet en cause les parents, l'éducation, le système anti, en fait.
00:55:35 Au fond, il dit "Je suis un produit de l'Amérique,
00:55:37 je suis à cause de vous."
00:55:39 - "The Way I Am", c'est aussi l'autre chanson
00:55:42 où il se représente en Marsha Mattress,
00:55:44 qui raconte qu'il est dérangé dans la rue
00:55:47 quand il est avec sa fille, etc.
00:55:49 [Musique]
00:56:10 - Et dans le clip, il montre toutes les petites histoires du business,
00:56:14 les réunions où on va l'accuser d'être provocateur, etc.
00:56:18 Il met ça dans son art.
00:56:20 Et ça, c'est là où il est très fort dans cette trilogie
00:56:25 Slim Shady, Marsha Mattress, Eminem Show.
00:56:29 C'est qu'il prend le monde autour de lui,
00:56:33 son monde intime, sa famille, sa femme,
00:56:36 le monde professionnel dans lequel il évolue,
00:56:38 le monde de la musique et l'Amérique elle-même,
00:56:40 et il ingurgite tout ça.
00:56:42 Et il prend, en ingurgitant tout ça,
00:56:44 il ingurgite aussi ses critiques dans l'album.
00:56:47 Il joue aussi des critiques, il dit par exemple,
00:56:50 "Ah oui, vous avez vu, c'est ce type, il a voulu violer sa mère,
00:56:53 on lui a filé la couverture de Rolling Stone dans un des morceaux."
00:56:57 C'est-à-dire qu'il préhente les critiques
00:57:00 avant que les critiques s'offusquent,
00:57:03 parce que c'est exactement ce que dira,
00:57:05 quelques mois après, Lynch est né devant le Congrès.
00:57:09 Et donc, il est en pleine maîtrise des choses
00:57:12 avec des tas de niveaux de lecture,
00:57:14 et tout ça sur des musiques
00:57:17 et avec des mélodies qui sont hyper populaires.
00:57:21 "Stan", c'est une chanson aussi pour les mamans,
00:57:24 parce qu'il y a la voix de Dido,
00:57:26 c'est un peu romantique, triste, etc.
00:57:29 Il arrive à parler à des tas de personnes,
00:57:32 tout en restant un troll,
00:57:34 et être capable de combiner tout ça,
00:57:38 il y a très peu d'artistes qui y arrivent,
00:57:40 et lui, il y arrive, et c'est déjà miraculeux
00:57:43 qu'il y arrive en musique sur trois albums pendant trois ans,
00:57:46 et la cerise sur le gâteau,
00:57:49 c'est qu'il va le faire au cinéma aussi.
00:57:51 - Alors voilà, tu me paves la route,
00:57:54 puisque les années 2000,
00:57:58 c'est la consécration, sans conteste, d'Eminem.
00:58:01 [Musique]
00:58:06 On peut le dire, les années 2000,
00:58:08 alors messieurs, il nous reste très peu de temps,
00:58:10 on est dans la merde.
00:58:12 - On a déjà parlé de 2020, 2021,
00:58:14 donc on a déjà fait la fin.
00:58:16 - Les années 2000, c'est vraiment,
00:58:18 c'est plus possible de contester Eminem,
00:58:21 et tu l'as dit, là il va venir carrément s'imposer au cinéma,
00:58:25 sachant qu'il aurait pu déjà jouer plusieurs rôles au cinéma.
00:58:28 - Il y a Training Day,
00:58:30 c'est l'un des cas les plus connus.
00:58:32 - Sachant qu'il y a d'autres personnes dans Training Day
00:58:34 qui connaissent bien Eminem,
00:58:36 mais lui, alors Training Day, il a refusé,
00:58:40 parce que...
00:58:42 - Parce que ça prenait trop de temps,
00:58:44 et justement, il y avait problème avec les agendas par rapport à...
00:58:46 - Et il était déjà sur 8 Miles.
00:58:48 - Et juste avant, il y a quand même un projet que moi,
00:58:51 quasi personne n'en parle,
00:58:53 mais il y a eu un projet de film The Crow,
00:58:55 avec DMX, qui serait opposé avec Eminem,
00:58:58 pareil, ça ne s'est pas fait,
00:59:00 parce que la légende dirait que DMX ne voulait pas jouer
00:59:02 avec Eminem, parce qu'il était blanc,
00:59:05 et bon, il fera des films avec Steven Seagal après,
00:59:08 donc je ne comprends pas trop le problème,
00:59:10 je ne sais pas si c'est vraiment vrai,
00:59:12 et du coup, effectivement, en 2002,
00:59:14 sort 8 Miles, réalisé par Curtis Hanson,
00:59:18 qui avait réalisé L.A. Confidential avant,
00:59:21 et d'autres films.
00:59:23 - Et là ?
00:59:25 - Déjà, il a un jeu d'acteur très convaincant,
00:59:27 et puis il arrive à amener,
00:59:29 alors c'est plus que le rap,
00:59:31 c'est les battles de rap, donc encore plus puristes,
00:59:34 on va dire, dans le foyer, au grand public,
00:59:36 c'est un peu comme l'a fait Stallone avec Rocky,
00:59:38 où il amène la boxe dans une grande échelle,
00:59:41 donc effectivement, tout ce que fait Eminem,
00:59:43 entre 1999 et 2004, c'est de l'or,
00:59:46 tout fonctionne, tout est bien réussi,
00:59:48 tout est bien fait.
00:59:49 - Alors, une chose sur 8 Miles,
00:59:51 qui a cartonné en France,
00:59:53 la chose surprenante, c'est qu'à l'époque,
00:59:55 les films au cinéma étaient diffusés en VF majoritairement,
00:59:59 donc pour 8 Miles, c'est quand même particulier
01:00:02 de voir ce type de film en VF, et non en VO,
01:00:05 et pourtant, ça n'a rien enlevé.
01:00:07 - En fait, il n'y a que les passages musicaux
01:00:09 qui sont sous-faits.
01:00:11 - Mais c'est quand même, et d'ailleurs,
01:00:13 c'était la chose à faire,
01:00:16 mais c'est quand même drôle de voir que,
01:00:18 enfin, tu as un personnage qui change de voix quand il rappe.
01:00:20 - Ah oui, il parle bien anglais, en fait.
01:00:22 - Il est très fort.
01:00:24 - Il y a un autre phénomène en plus qui se passe,
01:00:26 c'est que c'est l'arrivée du DVD,
01:00:27 et je me rappelle très bien que, du coup,
01:00:29 il y avait beaucoup de PlayStation 2 dans les foyers,
01:00:31 qui est le premier lecteur de DVD de beaucoup de gosses.
01:00:33 - C'est normal, c'était le lecteur DVD le plus répandu
01:00:36 et le moins cher quand tu faisais la comparative.
01:00:38 - Et du coup, quand tu es ado,
01:00:40 dans toutes les bandes de potes,
01:00:42 il y avait au moins quelqu'un qui avait le DVD d'Ike Miles, c'est sûr.
01:00:44 - Et puis là, par contre, on est typiquement
01:00:46 dans les années Internet,
01:00:48 et de toute façon, Eminem, maintenant,
01:00:50 il est attendu aussi, là où il ne l'était pas auparavant.
01:00:53 Là, on attend Eminem, on aime Eminem,
01:00:56 pourtant, j'ai l'impression aussi que toutes les polémiques
01:00:58 dont on a parlé, nous,
01:01:00 elles ont un peu glissé sur lui en France.
01:01:02 - Même les problèmes judiciaires qu'il a.
01:01:04 - Oui, voilà, les procès, etc.
01:01:06 Ça a été très secondaire.
01:01:08 Limite, Eminem a été très mainstream,
01:01:11 grand public en France.
01:01:13 Je ne sais pas si vous avez cette...
01:01:14 Baptiste, tu penses ?
01:01:15 - Oui, oui, très bien.
01:01:16 Moi, je me souviens, j'étais gosse,
01:01:18 il passe tout le temps l'équipe d'Eminem, etc.
01:01:20 Après, en Europe, il y avait quand même la critique londonienne
01:01:22 qui était très, très virulente envers Eminem,
01:01:24 plus qu'aux Etats-Unis, même.
01:01:25 - C'est les Britanniques qui sont toujours...
01:01:27 - C'est les Britanniques, oui.
01:01:28 Mais en France, effectivement, comme il n'y a pas...
01:01:30 Il y a une frontière de la langue, je pense.
01:01:32 - Il y avait juste la mélodie, on gardait les mélodies.
01:01:34 - Nos parents nous laissaient écouter Eminem sans problème
01:01:36 parce qu'on ne comprenait pas quand on était jeune.
01:01:38 Alors qu'aux Etats-Unis, en Angleterre,
01:01:40 je peux comprendre qu'effectivement...
01:01:41 - C'est pas pareil.
01:01:42 - C'est un peu plus touché, oui.
01:01:43 - Et donc, Eminem, au cinéma, gros, gros carton.
01:01:46 Il va refuser, même encore après, d'autres films.
01:01:48 - Ce qui est intéressant, c'est de voir que lui,
01:01:52 il dit qu'il ne sait rapper que sur lui.
01:01:55 Et donc, il fait 8 Mile à ses termes.
01:01:58 - Il invente sa propre légende.
01:01:59 - Exactement.
01:02:00 - C'est une autobiographie quasiment.
01:02:01 - Et il a la capacité...
01:02:03 Il va faire un album sur Eminem Show.
01:02:05 Il y a un morceau qui s'appelle "Goodbye to Hollywood".
01:02:08 Donc, ça montre la méfiance qu'il a à l'égard de Hollywood.
01:02:26 Pour lui, c'est un univers qui est factice.
01:02:30 Et en fait, il dit, vous me voulez dans le film ?
01:02:33 Vous venez à Détroit.
01:02:34 Et ça, c'est hyper fort,
01:02:36 parce qu'il rend aussi hommage à sa ville,
01:02:40 à tel point que, alors que le projet,
01:02:43 pendant tout le tournage,
01:02:45 on l'a appelé "Unnamed Eminem Project",
01:02:49 ou quelque chose comme ça,
01:02:51 il n'y a pas de titre,
01:02:52 à la fin, Curtis Hanson, il se rend compte
01:02:55 que ce qu'Eminem est en train de montrer,
01:02:57 il y a lui, évidemment, mais il y a Détroit.
01:02:59 Et le titre, c'est "Eight Mile".
01:03:02 C'est la limite de Détroit,
01:03:04 qui sépare les quartiers noirs des quartiers blancs.
01:03:06 La ville de Détroit est au nord, les banlieues blanches.
01:03:09 Et il a, dans cette manière de représenter Détroit,
01:03:16 il a affirmé ce truc "Détroite versus everybody".
01:03:19 C'est un peu la revanche du flic de Beverly Hills,
01:03:22 où au lieu d'aller à Beverly Hills,
01:03:24 c'est Beverly Hills qui vient à Détroit,
01:03:26 et qui réussit,
01:03:28 et qui réussit même au-delà de ce qu'on pouvait imaginer,
01:03:31 parce que le film est réussi,
01:03:32 mais la chanson-titre est le premier numéro un
01:03:35 au billboard américain d'Eminem.
01:03:38 - Lose Yourself. - Bien sûr.
01:03:40 Tu vas avoir l'Oscar en plus de la meilleure chanson.
01:03:42 Et lui, il va être le premier rappeur à avoir un Oscar.
01:03:45 Et il ne va pas y aller, on est d'accord.
01:03:47 Il s'en fout, total, il va regarder des dessins animés.
01:03:49 Il regarde des dessins animés avec sa gosse,
01:03:50 il apprend le langage.
01:03:51 Il y a un truc aussi,
01:03:52 c'est que les Oscars sont en perte de vitesse à ce moment-là.
01:03:55 Et lui, il sent très bien qu'ils ont besoin d'Eminem,
01:03:58 parce que le voir aux Oscars,
01:04:01 ça aurait fait plus d'audience.
01:04:03 Et lui, il ne va pas, puisqu'il s'en fout.
01:04:05 On pense qu'à ce moment-là, tout va bien pour Eminem.
01:04:07 Mais est-ce que tout va vraiment bien ?
01:04:09 Il nous reste quelques minutes,
01:04:10 juste pour dire que ce très gros succès,
01:04:12 il est aussi un peu contrasté,
01:04:14 par sa santé mentale notamment.
01:04:16 Ça a commencé avec le tournage d'Eight Mile.
01:04:18 Il avait un rythme complètement effréné.
01:04:21 Il est devenu accro somnifère pendant le tournage,
01:04:23 parce qu'il se levait à 5h du matin,
01:04:25 en même temps, il faisait la BO du film.
01:04:27 - Et puis il écrit, il écrit carrément en live.
01:04:29 - Donc il était surbooké,
01:04:30 plus encore des critiques, etc.
01:04:33 Au bout d'un moment, je pense que ça l'a pesé.
01:04:35 Donc il arrive à une espèce de burn-out,
01:04:38 et sa vie familiale, tout à fait.
01:04:40 - On n'en a pas dit, mais juste avant,
01:04:42 et puis une smoke-tour, justement,
01:04:44 ces ennuis judiciaires, ils ont à voir avec Kim,
01:04:47 parce qu'il va y avoir deux accidents,
01:04:49 enfin, incidents plutôt.
01:04:51 Il va menacer justement le manager d'Inside,
01:04:53 Clone Pussy, avec une arme à feu.
01:04:57 Donc déjà, il va faire de la garde à vue, etc.
01:04:59 Et peu de temps après, il va carrément
01:05:01 faire la même chose,
01:05:03 menacer un mec avec une arme à feu,
01:05:05 lui taper sur la tempe avec un coup de crosse.
01:05:08 Et tout ça, pourquoi ?
01:05:09 Parce qu'en fait, il a vu Kim en train de l'embrasser,
01:05:12 ou lui faire un bisou sur la joue,
01:05:14 selon les versions.
01:05:16 Et bon, déjà là,
01:05:18 juste avant qu'il pète vraiment,
01:05:20 il y a un 8-mile,
01:05:22 il y a déjà quand même cet environnement familial
01:05:24 qui reste toujours compliqué, etc.
01:05:26 - Oui, ça va être accentué,
01:05:28 prise de médicaments, de somnifères, etc.
01:05:30 Et il va faire une dépression.
01:05:32 - Une grosse dépression.
01:05:34 - Après, c'est les événements d'après,
01:05:36 surtout pour moi, à 2006.
01:05:38 - En fait, il arrive dans un vide artistique,
01:05:40 où là, déjà avec Ankor, on sent que ça souffle.
01:05:42 - Là, il est sur le toit du monde.
01:05:44 - Avec Ankor, c'est la première fois où
01:05:46 on est...
01:05:48 La critique est un peu...
01:05:50 un peu sur sa fin, quoi.
01:05:52 Ça tourne un peu en rond, ça perd en qualité,
01:05:54 il y a beaucoup de chansons qui...
01:05:56 n'ont pas grand sens.
01:05:58 - Just Lose It, c'est vraiment un calque de Without Me,
01:06:00 mais avec quelque chose en moins.
01:06:02 Il va s'en prendre à Michael Jackson.
01:06:04 Il y a Stevie Wonder qui va avoir cette phrase assassine,
01:06:06 qui dit "On ne fera pas un homme à terre".
01:06:08 - Il est devenu un peu sa propre caricature, en fait.
01:06:10 - Oui, sachant qu'il s'est attaqué à tout le monde
01:06:12 avant de mettre Nespirs,
01:06:14 Mariah Carey, etc.
01:06:16 Mais ça avait toujours été fait de manière...
01:06:18 intelligente, dans le sens où c'était dans son personnage.
01:06:20 C'était pas méchant en soi,
01:06:22 c'était de la caricature, de la stature.
01:06:24 - Lui-même, c'était devenu un personnage pop.
01:06:26 - Voilà. Et là...
01:06:28 On a l'impression qu'en fait,
01:06:30 Eminem n'est plus Eminem.
01:06:32 - Pour toi, c'est quand même d'Ankor qu'il y a des titres comme "moche".
01:06:34 - Il y a des titres très fous.
01:06:36 - Mais c'est beaucoup plus contrasté
01:06:38 en termes de qualité qu'auparavant.
01:06:40 - Il dit, là, dans une interview
01:06:42 qu'il a faite dans le magazine XXL
01:06:44 de ce mois-ci, il raconte cette période-là
01:06:46 et il explique bien que
01:06:48 d'une part, il avait la tête
01:06:50 fracassée par les drogues,
01:06:52 et donc la plupart des productions qu'il a faites,
01:06:54 puisqu'il produit aussi la plupart des productions
01:06:56 qu'il a faites pour Ankor,
01:06:58 il n'en est pas satisfait, en fait.
01:07:00 Il dit que c'est un peu
01:07:02 des comptines, les chansons qu'il fait là.
01:07:04 C'est facile, il fait ça en dix minutes.
01:07:06 Et il reconnaît
01:07:08 que musicalement, ce n'est pas au niveau
01:07:10 des trois autres albums d'avant.
01:07:12 Et puis, il est un peu
01:07:14 vidé aussi dans ses thèmes, etc.
01:07:16 Et le coup de massue
01:07:18 final, parce qu'il arrive quand même à compléter
01:07:20 l'album, à faire quelques titres qui sont
01:07:22 bons, c'est "L'assassinat de Proof"
01:07:24 en 2006, où là, il va
01:07:26 vriller complètement.
01:07:28 - Alors, monsieur, je vous propose qu'on s'arrête là-dessus.
01:07:30 Mais pas définitivement.
01:07:32 Je vous propose qu'on fasse une partie
01:07:34 de Eminem, parce que là, on s'arrête
01:07:36 sur quelque chose de dramatique.
01:07:38 Mais qui aussi est la fin de quelque chose
01:07:40 pour Eminem. Et je vous propose
01:07:42 qu'on se revoie pour le retour.
01:07:44 Donc voilà. Merci en tout cas pour cette
01:07:46 première partie, messieurs. On ne peut pas
01:07:48 ne pas faire une deuxième partie, ce n'est pas possible.
01:07:50 Il y a encore beaucoup de choses à dire, notamment sur le style
01:07:52 même d'Eminem, qu'on n'a pas vraiment décortiqué
01:07:54 plus que ça.
01:07:56 - Et son influence qui est
01:07:58 en fait très importante sur le hip-hop
01:08:00 d'aujourd'hui. - Bien sûr. On y reviendra,
01:08:02 promis. Merci à vous
01:08:04 de nous avoir suivis. On se retrouve très
01:08:06 bientôt pour un nouvel épisode de Dans la Légende.
01:08:08 [Musique]