Annabelle, connue sous le pseudo @aim.rea sur les réseaux sociaux, a passé deux semaines en hôpital psychiatrique. Elle revient sur cette expérience qui lui a sauvé la vie, loin de l'image stigmatisante qui entoure la psychiatrie, et nous rappelle l'importance de prendre soin de sa santé mentale.
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00:00 "Capital psychiatrique", pour moi, c'était vraiment un monde de fous,
00:02 où on enfermait des gens dangereux.
00:04 Même quand j'y suis allée, je me disais "Mais moi, je vais là-bas, mais...
00:08 Enfin...
00:09 Parce que je prends des décisions sages,
00:11 mais j'ai rien à faire là-bas, dans le fond."
00:13 Je m'appelle Annabelle, j'ai 25 ans
00:17 et je suis créatrice de contenu et photographe.
00:19 Je suis tombée en dépression en 2020,
00:21 juste un peu avant le confinement.
00:23 Donc pour moi, le confinement, ça a été vraiment genre...
00:25 J'ai été assommée par ça.
00:28 J'ai beaucoup enfouie, j'ai fait un grand déni.
00:30 Je pense que c'est un peu le cas de beaucoup de gens qui sont en dépression,
00:33 ils se disent "Mais non, je suis pas en dépression, c'est une passade,
00:36 je suis pas en dépression, ça va pas trop en ce moment."
00:39 J'ai vu une psychologue, qui était très inquiète pour mon cas,
00:42 donc j'ai vu une psychiatre, qui était très inquiète pour mon cas,
00:45 et en fait, même avec le traitement,
00:49 même avec les antidépresseurs, ça n'allait pas.
00:52 Je continuais à aller encore plus mal,
00:53 alors que je pensais que c'était pas possible d'aller plus mal,
00:56 et donc j'ai dû aller à l'hôpital psychiatrique pour me sauver,
00:59 pour me protéger et pour ne pas mourir.
01:02 En arrivant aux causes urgences avec les infirmiers et tout ça,
01:06 ils me regardent et ils me disent "Vous êtes là pour quoi ?"
01:08 Et je dis "Détresse psychologique, envie suicidaire",
01:12 et en fait, ils prennent ça très au sérieux.
01:14 Moi, ça m'a fait un choc,
01:15 parce que pour moi, je minimisais toujours un peu ce qui se passait,
01:19 et là, j'ai compris.
01:20 Je savais que c'était une maladie, la dépression,
01:21 je savais que les envies suicidaires, c'était grave
01:23 et que ça devait se prendre en charge,
01:24 mais la manière dont ils ont réagi,
01:27 j'ai pris conscience qu'il y avait vraiment un truc qui se passait,
01:29 parce qu'ils ont pris ça au sérieux,
01:30 comme si je venais de dire "Je suis en train de faire un arrêt cardiaque".
01:32 On demandait de retirer mes vêtements,
01:34 ils m'ont donné des vêtements d'hôpitaux bleus,
01:37 vraiment des trucs qui font très très peur,
01:39 où on se dit "Mais qu'est-ce que je fais dans ces affaires ?"
01:41 Ils m'ont enlevé mes chaussures, toutes mes affaires personnelles,
01:44 j'avais plus rien, ils m'ont même changé mon masque,
01:46 ils ont tout changé,
01:47 et ils m'ont ausculté, parce qu'en plus,
01:49 moi, j'avais le corps rempli de scarifications, d'automutilation,
01:52 donc j'avais vraiment le corps rempli.
01:54 Ils m'ont laissé le choix aussi,
01:55 parce qu'il y avait deux unités dans l'hôpital où j'étais.
01:57 J'ai pas réfléchi, j'ai dit "Je veux l'unité la plus fermée,
02:00 celle où il m'arrivera rien,
02:01 celle où il y a des sécurités aux fenêtres,
02:03 celle où je peux pas sortir,
02:04 celle où j'aurai pas mon téléphone,
02:05 celle où il y a aucun moyen de me blesser".
02:07 J'ai fait ce choix-là, parce que je savais à quel niveau dans ma tête j'étais,
02:10 et je me suis dit "Je suis sûre que si je suis pas assez protégée,
02:13 je suis capable de me faire du mal, même à l'hôpital".
02:15 Je suis restée deux semaines à l'hôpital.
02:18 On voyait des psychiatres tous les jours.
02:20 Il y avait un psychiatre, même des équipes de psychiatres qui venaient,
02:24 et donc là-bas, ils m'ont augmenté mon dosage d'antidépresseurs,
02:26 et j'avais un suivi vraiment poussé.
02:29 On nous prend en charge, mais vraiment.
02:31 On n'a plus besoin de réfléchir à se faire à manger,
02:33 on réfléchit plus à faire à manger, à manger, à boire,
02:36 à savoir comment on va, parce qu'on nous demande tous les jours comment on va.
02:39 Et ensuite, on s'occupe, on regarde la télé, on écoute la radio,
02:41 on fait du coloriage.
02:42 J'ai fait du coloriage pendant 10 jours, enfin 15 jours.
02:45 Mes journées, c'était vraiment des journées d'enfants de maternelle.
02:47 C'est vraiment le retour à l'enfance, mais on peut pas faire plus petit, quoi.
02:51 On nous surveille, on nous demande l'écran de couleur, de les rendre,
02:55 on fait du dessin, c'est vraiment ça, toute la journée.
02:58 Mon seul contact avec l'extérieur, c'était un téléphone fixe
03:02 qui était au fond de l'unité.
03:04 Et je m'en rappellerai toute ma vie,
03:06 parce que le fil du téléphone était court comme ça,
03:09 et du coup, on est au téléphone, mais comme ça.
03:12 Et donc, on est tout penchés.
03:14 "Allô, ça va ?"
03:15 Et donc, on demande des nouvelles, mais vraiment comme ça,
03:17 parce que j'imagine que c'est pour pas qu'on tente des choses
03:20 avec le fil du téléphone.
03:21 Avant l'hôpital psychiatrique, pour moi, c'était vraiment un monde de fous,
03:24 où on enfermait des gens dangereux.
03:25 Même quand j'y suis allée, je me disais "Mais moi, je vais là-bas, mais..."
03:29 Enfin...
03:30 C'est parce que je prends des décisions sages,
03:33 mais j'ai rien à faire là-bas, dans le fond.
03:35 Il y avait vraiment une part de moi qui se disait
03:36 "Moi, je vais pas parler aux gens là-bas."
03:39 Et en fait, je me suis dit "Il doit y avoir que des malades, des gens fous et tout."
03:42 Et quand je suis arrivée là-bas, j'étais la pire.
03:44 D'un coup, on est humble, en fait, parce qu'on se rend compte, on se dit "Mais en fait...
03:48 C'est juste des gens malades, et je suis une personne malade,
03:52 donc je me retrouve à l'hôpital avec des gens malades comme moi."
03:54 Je fais partie de ces gens que ça a beaucoup aidé.
03:56 Je sais que c'est pas le cas de tout le monde,
03:57 il y a des personnes qui ressortent encore plus traumatisées,
03:59 qui ressortent encore plus mal, qui ont détesté l'enfermement,
04:01 qui ont détesté le fait de se sentir un peu infantilisée.
04:06 Il y a des gens qui vivent aussi des mauvaises expériences
04:07 parce que l'hôpital, ça s'est mal passé,
04:09 parce que les soignants étaient pas corrects,
04:11 parce qu'ils ont vécu des violences au sein de l'hôpital.
04:13 Moi, j'ai eu une chance vraiment...
04:16 Ça s'est super bien passé, vraiment.
04:18 Tous les infirmiers étaient géniaux,
04:20 tous les autres patients étaient vraiment trop bienveillants.
04:24 Je suis ressortie, j'étais une autre personne.
04:26 Il y a eu quelque chose qui s'est...
04:30 qui s'est apaisé dans mon corps, vraiment.
04:32 Et le fait... Oui, c'est ça, c'est vraiment le fait de ne plus me prendre en charge
04:36 pendant deux semaines,
04:37 de ne plus avoir à penser à rien d'autre qu'à prendre soin de moi
04:39 et à réaliser que je suis malade et que j'ai juste besoin d'aide,
04:42 ça m'a vraiment... Enfin, c'était vraiment un soulagement.
04:46 Ça m'a demandé beaucoup d'efforts,
04:47 ça m'a demandé de mettre beaucoup d'ego de côté,
04:50 ça m'a demandé du courage, vraiment beaucoup de courage,
04:54 mais quand je suis ressortie, je me suis dit "OK, j'ai vraiment fait le bon choix,
04:56 j'ai bien fait d'y aller et je suis fière de moi".
04:58 Aujourd'hui, ça va beaucoup mieux, je suis guérie,
05:01 je ne suis plus en dépression, je ne prends plus d'antidépresseurs.
05:03 Je vois toujours ma psychologue.
05:05 Je tiens toujours à suivre ma psychothérapie
05:06 parce que la thérapie, ça a été une aide, un support quand j'étais malade,
05:12 et aujourd'hui, ça me permet de ne pas retomber dans les mêmes schémas
05:15 qui m'ont fait tomber en dépression.
05:17 Ce que je dirais à une personne dépressive, c'est vraiment "accroche-toi,
05:20 il y a plein de gens qui sont passés par là et qui s'en sont sortis,
05:23 il n'y a pas de raison que toi, tu n'en sortes pas,
05:26 tu vas y arriver comme les autres,
05:28 ça prendra le temps que ça prendra",
05:29 et je sais à quel point c'est long et interminable, je sais,
05:33 Mais on arrive au bout.
05:34 Mais vraiment.
05:35 [SILENCE]