Nouveau coup d’éclat du Russe dissident Kirill Serebrennikov, si La Femme de Tchaïkovski est au menu de ce nouveau Face-à-Face Critique cette semaine, c’est aussi parce que l’interprétation d’Alyona Mikhailova est époustouflante. Cette actrice dont c’est le premier premier film, joue le rôle de l’épouse brûlante de désir mais délaissée par l’illustre compositeur russe. Marie Sauvion et Samuel Douhaire, nos deux critiques, s’interrogent : « Pourquoi n’a-t-elle pas reçu la palme d’or à Cannes où le film était sélectionné en 2022 ? ».
En prenant fait et cause pour Antonina Tchaïkovski, Kirill Serebrennikov ne fait pas l’impasse sur l’homosexualité de l’auteur du Lac des Cygnes, et s’oppose ainsi aux consignes des autorités russes du régime de Poutine. Cette femme dont la vie embrasée fut sacrifiée en raison des mœurs des années 1870 est morte en 1917, dans un asile. Une époque pas si révolue puisque sous le régime révisionniste actuel, le film ne sortira pas à Moscou.
En prenant fait et cause pour Antonina Tchaïkovski, Kirill Serebrennikov ne fait pas l’impasse sur l’homosexualité de l’auteur du Lac des Cygnes, et s’oppose ainsi aux consignes des autorités russes du régime de Poutine. Cette femme dont la vie embrasée fut sacrifiée en raison des mœurs des années 1870 est morte en 1917, dans un asile. Une époque pas si révolue puisque sous le régime révisionniste actuel, le film ne sortira pas à Moscou.
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00:00 La femme de Tchaïkovski, c'est un concentré d'âme russe qui ne plaira pas du tout à Vladimir Poutine.
00:29 Kirill Serebrynnikov a raconté que quand il a proposé aux autorités russes de faire un film sur Tchaïkovski,
00:38 ou plus exactement sur la femme de Tchaïkovski, il lui a dit "c'est une très bonne idée, c'est formidable"
00:42 et quand il a dit "je vais vous montrer vraiment qui il était homosexuel",
00:46 il a dit "ah mais non, mais c'est pas possible, Tchaïkovski n'était pas homosexuel".
00:48 Voilà, on était quand même dans un déni de ce qu'était Tchaïkovski.
00:52 Il le montre sans aucun problème et il le montre à travers le regard de son épouse.
00:57 Alors il y a un malentendu évidemment au début, puisque Antonina, toute jeune,
01:01 s'éprend de Tchaïkovski, qui a déjà un certain âge, qui n'a jamais été mariée,
01:08 et qui lui dit "red flag, je n'ai jamais aimé aucune femme".
01:12 Et au lieu de s'affoler, de se dire "tiens c'est bizarre quand même, un grand gaillard comme ça",
01:17 elle se dit "ben il m'aimera moi et on va vivre une histoire absolument passionnelle".
01:20 Il l'épouse et on sait tout de suite, dès la séquence du mariage, que ça va très mal se passer.
01:24 Le problème c'est que toute la société est organisée pour qu'elle soit la 18ème roue du carrosse,
01:30 qu'elle soit un être qui ne compte pas, un être méprisé.
01:33 C'est vraiment un film qui est un remède à la passion, ça vous vaccine tout de suite,
01:37 l'amour, pour quoi faire, franchement, quelle erreur,
01:40 mais qui épouse la cause de la femme du titre.
01:45 Antonina est jouée par Aljona Mihailova, dont c'est le premier film.
02:03 On n'a toujours pas compris, dix mois après, pourquoi elle n'avait pas eu le prix d'interprétation à Cannes,
02:08 parce que c'était vraiment l'interprétation la plus saisissante de tout ce qu'on a pu voir dans les 21 films en compétition.
02:13 Un rôle écrasant, elle est de tous les plans ou presque, elle est absolument prodigieuse,
02:17 et Dieu sait que Zverevnikov lui demande des choses très difficiles à jouer,
02:21 que ce soit dans l'hystérie, dans le calme, dans la détresse, dans le désespoir.
02:24 C'est vraiment une des grandes raisons d'aller voir ce film, outre la mise en scène virtuose de Zverevnikov.
02:38 Le film est particulièrement sombre.
02:41 Si vous aviez aimé le côté solaire de Leto, oubliez.
02:44 Là, on est vraiment dans une Russie de ténèbres, d'angoisse en permanence.
02:48 Le film se passe beaucoup la nuit, et quand il n'est pas de nuit, c'est de jour,
02:51 mais dans des intérieurs très faiblement éclairés.
02:54 On a vraiment une espèce de plongée dans les enfers de cette relation amoureuse ô combien toxique.
03:01 Très sombre, dans une lumière très travaillée par le chef opérateur Vladislav Opeljans.
03:07 C'est des choses assez limpides.
03:08 Par exemple, quand elle reçoit Tchaïkovski pour la première fois dans son petit studio,
03:14 c'est comme si le soleil entrait avec lui.
03:16 Tout à coup, la pièce est absolument baignée de lumière.
03:18 Tout est vraiment éclatant, éblouissant presque à l'image.
03:22 Alors que quand elle va rendre visite à sa mère, par exemple,
03:27 c'est une sorte de matriarcat sinistre de femmes tout en noir.
03:30 Il y a beaucoup de séquences aussi éclairées à la lampe à pétrole
03:34 et de déplacements comme ça dans les recoins des appartements.
03:38 Par ces jeux de lumière, par cette théâtralité,
03:40 par les surprises aussi que Kirill Serebrennikov s'est créé,
03:44 le film s'affranchit de tout réalisme.
03:47 C'est à mon sens la grande réussite du film,
03:49 de proposer une vision onirique, cauchemardesque, rêvée.
03:53 La femme de Tchaïkovski, c'est la vision très sombre d'un amour fou.
03:58 Et dans un amour fou, il y a fou.
03:59 Donc voilà, il faut être prêt à faire un voyage au bout de la folie.
04:01 C'est un très grand film, un des plus beaux que vous pourrez voir en ce mois de février.
04:07 Je suis la vie et la soul.
04:10 [Musique]