Patrick Chesnais publie ses « Lettres d’excuses » à travers un ouvrage dans lequel il demande pardon à sa famille, à sa jeunesse, à sa vieillesse et à sa carrière. Invité de Télématin, le comédien vient nous parler de ce livre qui sonne comme un méa-culpa : « C’est une façon de mettre sur la scène des gens qu’on a un peu oublié par égoïsme […] on a pas fait suffisamment attention, on a été un peu trop indifférent et blessé ou mis certaines personnes dans des conditions compliquées » explique-t-il. Le mot d'excuse de Patrick Chesnais.
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00:00 Il est 8h13, c'est une télévision d'actualité.
00:02 Julien, vous recevez donc le comédien et auteur Patrick Cheney.
00:05 Bonjour et bienvenue.
00:06 Bonjour Patrick Cheney.
00:07 Merci d'avoir accepté notre invitation.
00:09 Ce matin, vous venez nous présenter vos lettres d'excuses
00:13 à travers ce livre publié aux éditions de l'Archipel.
00:16 Alors vous demandez pardon à votre famille, à votre jeunesse,
00:18 à votre vieillesse, à votre carrière.
00:20 Bref, vous vous excusez beaucoup,
00:22 vous aviez beaucoup de choses à vous faire pardonner.
00:24 Oui, comme nous tous.
00:26 Peut-être moins, un peu plus que vous tous
00:28 puisque je suis un tout petit peu plus âgé.
00:30 Un tout petit peu seulement, mais quand même.
00:32 Donc oui, c'est-à-dire que c'est une façon de mettre sur la scène
00:40 peut-être des gens qu'on a un peu oubliés par égoïsme,
00:44 par on n'a pas fait suffisamment attention,
00:46 on a été un peu trop indifférents,
00:50 on a peut-être blessé ou mis certaines personnes
00:54 dans des conditions compliquées.
00:56 Mais ça ne s'arrête pas là,
00:58 il y a les personnes, il y a les proches, la famille.
01:00 Et puis il y a votre vie, parce qu'en filigrane,
01:02 c'est ce qu'on décourt, c'est une sorte d'autobiographie.
01:05 Moi je ne vous connaissais pas aussi bien
01:07 après avoir lu votre livre.
01:09 Moi non plus, j'en ai beaucoup appris.
01:11 Vous avez beaucoup appris sur vous-même.
01:13 Mais il y a beaucoup de, Thomas le disait tout à l'heure,
01:15 beaucoup de rire, franchement beaucoup d'humour
01:17 et puis beaucoup d'émotion.
01:19 Est-ce que dans votre cas, cet humour,
01:21 vous le pratiquez comme une politesse, la politesse du désespoir ?
01:23 Oui, c'est ce qu'on dit.
01:25 Je ne sais pas si je le pratique comme une politesse,
01:27 je le pratique souvent, ça c'est sûr.
01:29 En fait, l'humour, ce n'est pas forcément enfer.
01:33 Je pense que j'en fais de temps en temps.
01:35 C'est aussi être sensible à l'humour, recevoir l'humour,
01:37 réagir, avoir une vision du monde en général
01:41 qui passe par la dérision, un deuxième degré.
01:44 Prendre du recul.
01:45 Je parlais de désespoir, parce que vous commencez
01:47 votre livre par une lettre à votre fils, Ferdinand,
01:49 décédé dans un accident de la route en 2006,
01:51 et une lettre poignante dans laquelle vous parlez de lui.
01:54 Et ce qui est tout à fait poignant dans votre livre,
01:56 c'est que vous l'imaginez dans des vies qu'il n'aura jamais,
02:00 des vies très différentes.
02:02 Est-ce que c'est un moyen, justement, cette fiction,
02:04 de le garder aussi près de vous ?
02:06 En tout cas, j'ai écrit mon premier livre, c'était sur lui,
02:10 mais vraiment, c'était l'histoire entre lui et moi.
02:14 C'était une façon de le faire exister différemment.
02:17 C'est-à-dire de lui donner une vie,
02:20 de prolonger un peu sa vie par d'autres moyens,
02:22 si je peux dire.
02:24 Ce n'est pas son enveloppe physique charnelle,
02:26 mais une idée qu'on avait de lui,
02:28 de le faire partager avec le public,
02:30 d'essayer de le faire exister.
02:32 Pour la suite, effectivement, quand on écrit,
02:35 et quand on écrit des choses plus ou moins autobiographiques,
02:38 ou qu'on raconte des petites nouvelles, des histoires,
02:41 il y a un moment où mon fils mort, donc décédé,
02:44 arrive à un moment ou à un autre.
02:47 Oui, c'est plus fort que moi.
02:50 C'est logique, évidemment.
02:52 Il y a aussi les lettres écrites à votre famille,
02:54 votre père, votre petit-fils, mais aussi votre mère,
02:56 et notamment ce passage très émouvant,
02:58 car forcément, il concerne beaucoup de monde.
03:00 Vous parlez de votre maman, qui a été placée dans un EHPAD,
03:02 et vous avez eu le sentiment, comme beaucoup d'entre nous,
03:05 de l'avoir abandonnée.
03:07 Je peux me permettre d'en lire un petit passage ?
03:09 Allez-y, je vous en prie. Mais lisez bien, faites gaffe.
03:11 Je vais faire gaffe devant vous, quelle pression !
03:13 Vous parlez de votre mère.
03:15 "Je te plaque à Arcueil, son EHPAD, pas loin du Viaduc.
03:17 Je me défais de tous les emmerdements du grand âge
03:19 à d'autres, les professionnels, plus ou moins de la profession,
03:21 plus ou moins gentils, plus ou moins payés.
03:23 Je te tourne le dos, ma mère, je t'aime,
03:25 même si les preuves d'amour font défaut.
03:27 Je m'excuse de n'avoir pas pu me dépatouiller,
03:29 pas su comment faire."
03:31 Cette culpabilité, elle est très intense.
03:35 - On s'excuse auprès de gens, de personnes,
03:37 ou même de concepts.
03:39 Je m'excuse auprès du soleil, du jazz,
03:41 de plein de choses.
03:43 - De votre jeunesse aussi ?
03:45 - C'est qu'on se sent plus ou moins coupable,
03:47 tout à fait su maîtriser, réaliser, c'est sûr.
03:49 - Et plus inattendu, vous vous excusez aussi
03:51 auprès de Jack Nicholson.
03:53 C'est une anecdote incroyable,
03:55 est-ce que vous pouvez nous la raconter ?
03:57 Vous lui faites rater une scène, c'est ça ?
03:59 - Oui, c'est ça.
04:01 On était invités, on représentait le Festival de Cannes,
04:03 on était invités par les Oscars.
04:05 On était reçus là-bas.
04:07 Moi, j'avais sympathisé avec le numéro 2 de la Fox,
04:09 c'était une grosse maison,
04:11 qui m'a emmené voir Jack Nicholson tourner.
04:13 On arrive sur le podium,
04:15 on est tous les deux sur le plateau,
04:17 et il me dit, c'est une scène difficile,
04:19 ça fait une semaine qu'il est sur cette scène,
04:21 c'est un plan séquent,
04:23 c'est-à-dire un plan qui n'est pas coupé,
04:25 il a beaucoup de mal, il n'y arrive pas,
04:27 mais là, ça a l'air de bien se passer,
04:29 on est presque au bout.
04:31 Il me rapproche du plateau,
04:33 et à un moment, Jack Nicholson me tourne le dos,
04:35 il se tourne vers sa partenaire, donc vers moi,
04:37 puisque j'étais dans le même axe,
04:39 et je vois son sourire carnassier,
04:41 ses yeux exorbités, son nez comme ça,
04:43 et j'éclate de rire.
04:45 Chose à ne pas faire.
04:47 Pendant la séquence, évidemment.
04:49 - C'était pas encore coupé ?
04:51 - Et j'entends "cut".
04:53 Et je vois Jack Nicholson me regarder,
04:55 alors c'était à la fois
04:57 un mélange d'incompréhension,
04:59 de désespoir,
05:01 de haine,
05:03 un petit peu quand même,
05:05 et de "mais qu'est-ce que j'ai fait
05:07 pour mériter tout ça, qui c'est celui-là ?"
05:09 - C'est une belle anecdote, et vous vous excusez auprès de lui.
05:11 - Et je lui ai répondu "I am sorry".
05:13 - Ce qui est une belle façon de s'excuser en anglais.
05:15 - C'est le seul truc que je connais en anglais, mais là...
05:17 - Et puis vous vous excusez aussi dans ce livre,
05:19 auprès de votre femme, Josiane,
05:21 avec laquelle vous êtes depuis plus de 40 ans.
05:23 Vous dites que votre femme pense que ce que vous êtes
05:25 est plus important que ce que vous faites.
05:27 Expliquez-nous.
05:29 - C'est vrai, je fais pas toujours des choses...
05:33 Enfin, vous savez, c'est difficile de parler de ça,
05:37 c'est plus facile à écrire qu'à parler.
05:41 Oui, dans un couple de 45 ans,
05:45 surtout dans un milieu comme le mien,
05:47 il y a des tentations, voilà, on va dire ça comme ça.
05:51 Et Josiane a toujours été très forte par rapport à ça.
05:53 Ce qui a permis que notre couple,
05:57 ce qui est un vrai couple, où vraiment il y a des sentiments,
06:00 durent et perdurent et passent à travers tous ces orages.
06:03 Voilà, et là, je lui...
06:05 Enfin, j'ai eu hommage...
06:07 Voilà, je lui parle d'elle.
06:09 - Vous lui demandez pardon.
06:11 - Je lui demande pardon,
06:13 et pour répondre à votre question,
06:15 elle pense que, bon, je fais des conneries,
06:17 mais quand même, c'est moi.
06:19 Voilà, donc c'est une preuve d'amour.
06:21 - Vous ne vous résumez pas à vos actes.
06:23 Alors, on l'a bien compris, quand il s'agit de parler de vous,
06:25 franchement, vous vous épargnez pas.
06:27 Est-ce qu'il y a des choses tout de même
06:29 pour lesquelles vous vous plaidez non coupable, Patrick Chénet ?
06:31 - Ah ben, il y a plein de choses, oui.
06:33 Non, non, il y a...
06:35 - C'est quoi vos qualités principales ?
06:37 Si vous deviez vous réhabiliter,
06:39 après vous être excusé pendant tout ce bouquin ?
06:41 - J'ai beaucoup de défauts.
06:45 J'ai plus de facilité à épargner mes défauts que mes qualités.
06:49 Mais une de mes qualités, quand même,
06:51 que j'essaye d'infuser autour de moi,
06:53 c'est quand même la vision du monde vue avec drôlerie, quoi.
06:59 J'essaie de rire un peu de tout.
07:01 Parfois, c'est compliqué, hein.
07:03 C'est pas toujours simple, mais c'est une façon, oui,
07:05 vous parliez de la politesse, de la façon de se défendre
07:07 ou de prendre distance.
07:09 - En tout cas, c'est exactement, si je devais,
07:11 moi qui ne vous connaissais pas jusqu'alors,
07:13 vous définir, c'est ce fameux charme
07:15 qu'on retrouve dans votre livre
07:17 et ce mélange, comme vous le dites,
07:19 de drôlerie et d'émotion.
07:21 Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
07:23 Je rappelle la sortie de votre livre, "Lettre d'excuse",
07:25 et c'est paru aux éditions de l'Archipel.
07:27 – Merci à vous Patrick Genest d'être venu ce matin.